France-Asie centrale : le Kazakhstan, ce partenaire devenu vraiment stratégique pour Paris

Dixième pays exportateur vers le Kazakhstan, la France compte gagner du terrain en Asie centrale, et établir de nouveaux partenariats pour cimenter ce « partenariat stratégique » mis en avant par Emmanuel Macron le 1er novembre dernier lors de sa visite à Astana. L’enjeu est grand.

Stéphane Clément
Par Stéphane Clément Publié le 13 novembre 2023 à 15h30
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2,05 MILLIARDS €En 2021, la France importait 2,05 milliards d’euros du Kazakhstan

Qui saurait placer les yeux fermés le Kazakhstan sur la carte du monde ? Probablement pas beaucoup de Français, et pourtant, ce grand pays d’Asie centrale pourrait devenir à moyen terme l’un des partenaires majeurs de la diplomatie économique française. Lors de son voyage officiel le 1er novembre dernier en Asie centrale, le président Emmanuel Macron n’a pas fait mystère de son ambition : renforcer le partenariat stratégique liant les deux pays depuis 2008, et parler business. Car la France et le Kazakhstan ont tous les deux quelque chose à gagner dans le renforcement de leurs relations politiques et économiques. En 2021, la France importait 2,05 milliards d’euros du Kazakhstan (principalement du pétrole) et exportait pour 460 millions. Des échanges commerciaux qui pourraient bientôt exploser.

Sortir de l’orbite de Moscou

Faisons les présentations de ce pays situé à plus de 4000km. Capitale : Astana. Nombre d’habitants : 19 millions. Superficie : 2,7 millions de km2, soit le 9e plus grand pays au monde. Indépendante depuis 1991 et la chute de l’URSS, la république du Kazakhstan est présidée depuis 2019 par Kassym-Jomart Tokaïev. Son prédécesseur, Noursoultan Nazarbaïev, est resté près de 30 ans au pouvoir et a, au cours de ses cinq mandats, placé son pays en position de leadership parmi les cinq pays d’Asie centrale (avec le Kyrgyzstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan).

Depuis, la stratégie diplomatique du Kazakhstan n’a pas bougé d’un iota : Astana brandit fièrement son indépendance, en particulier à l’égard de son ancienne autorité de tutelle, la Russie. En témoigne le refus d’Astana de s’aligner sur Moscou dans la guerre en Ukraine – envoyant même de l’aide humanitaire à Kyiv. « L’idée que le Kazakhstan est un pays artificiel a été évoquée par quelques hommes politiques russes, et c’est un discours qui ressemble à s’y méprendre à celui contre l’Ukraine avant le début de la guerre, remarque Michaël Levystone, chercheur à l’IFRI (Institut français des relations internationales). S’imaginant à la place de l’Ukraine, les pays d’Asie centrale ont été un peu plus frileux pour soutenir leur grand frère russe dans son ‘opération spéciale’. D’un côté, les cinq pays d’Asie centrale veulent se distancier de la Russie et ils ont tout intérêt à le faire mais, de l’autre, ils ont des liens encore très imbriqués, malgré trois décennies d’indépendance, et qu’il est impossible de défaire en un claquement de doigts. » Un processus lent, mais qui porte aujourd’hui ses fruits.

Le président Tokaïev suit la même ligne que son prédécesseur : au carrefour de quatre univers distincts, il mène donc une politique étrangère équilibrée, et promet des opportunités économiques aux partenaires qui souhaitent toquer à sa porte. Avec la Russie au nord – qui reste son premier partenaire commercial –, le bloc Chine-Inde à l’est, le monde arabo-musulman au sud et l’Union européenne à l’ouest, le Kazakhstan attire désormais des investisseurs très variés. Et la France, placée au 10e rang de ses partenaires commerciaux, compte bien grapiller des parts de marchés.

Paris et Astana renouvellent leurs vœux

En 2008 donc, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, Paris et Astana avaient lancé leur « partenariat stratégique ». Quinze ans plus tard, Emmanuel Macron a voulu donner une nouvelle impulsion à cette relation. Avec sa délégation essentiellement composée de grands chefs d’entreprises – EDF, Suez, Danone, Saint-Gobain… –, le président français a sorti l’artillerie lourde : le Kazakhstan est une terre d’opportunités et d’échanges, dans les deux sens. Paris a besoin d’Astana, Astana a besoin de Paris. Soit les bases d’une cordiale entente.

Présents en force dans la délégation française début novembre, soixante chefs d’entreprises étaient donc là pour signer des contrats. Ou pour montrer qu’ils seraient les plus à même pour réaliser des grands projets d’infrastructures souhaités par le gouvernement kazakhstanais. Les dossiers étaient nombreux, à commencer par la construction de la toute première centrale nucléaire du pays qu’EDF convoite, en attendant la décision finale soumise à un référendum d’ici fin 2023. Un contrat important pour la France, mais pas aussi crucial que la sécurisation de son approvisionnement en uranium pour faire tourner les réacteurs tricolores. Car le Kazakhstan connaît sa force : les multiples ressources naturelles de son sous-sol. « Le Kazakhstan possède les réserves d’uranium les plus importantes au monde et qu’un quart du combustible nucléaire européen, dont près de 28000 tonnes achetées par Orano, provient du pays, souligne le géopolitologue Emmanuel Dupuy. Il en va de même dans le domaine des terres rares (chromite, rhénium, manganèse, lithium, phosphore…) dont les besoins planétaires vont être multipliés par 4 d’ici 2040 et par 10 pour ce qui concerne le lithium. Véritable eldorado que justifie la multiplication par deux des investissements directs étrangers des 170 entreprises françaises présentes au Kazakhstan, durant les six premiers mois de 2023 et une augmentation de 32% du commerce bilatéral en 2022, entre Astana et Paris (près de 4 milliards d’euros). » Dans le secteur énergétique, une politique gagnant-gagnant s’impose donc aux deux capitales.

Outre le nucléaire et autres projets d’énergies vertes comme la construction d’un parc éolien d’une puissance de 1,2GW dans le sud du pays, Paris avait quelques arguments à faire valoir dans le développement des industries pharmaceutique et de la Défense. Le plus gros contrat a été remporté par Thalès avec la fourniture de radars militaires GM400. Une prouesse commerciale et diplomatique pour la France dans ce pays qui partage quelque 7500km en commun avec… la Russie. « La France est notre partenaire clé et fiable dans l’Union européenne, s’est félicité le dirigeant kazakhstanais Kassym-Jomart Tokaïev, soulignant également les besoins réciproques de Paris et d’Astana. L’énergie nucléaire représentant 63% du secteur énergétique français, le potentiel de coopération est énorme. Nos intérêts convergent également lorsqu’il s’agit d’atteindre zéro émission de carbone à l’avenir. Comme la France, le Kazakhstan est un pionnier régional dans ce domaine. » En quittant Astana après 24 heures d’échanges fructueux, Emmanuel Macron pouvait avoir le sourire. Mission accomplie, surtout dans le contexte actuel de tensions géopolitiques et de chausse-trapes diplomatiques.

Rayonnements culturels conjoints

Si ce voyage officiel était surtout orienté business, le locataire l’Élysée en a également profité pour asseoir des projets culturels qui lui tenaient à cœur. La présence d’éminentes personnalités comme Amin Maalouf, le nouveau secrétaire perpétuel de l’Académie française, n’y était pas étrangère, Emmanuel Macron sachant pertinemment que le rayonnement culturel constitue un atout diplomatique non négligeable. Dans ses cartons, plusieurs projets, comme une université commune et une grande exposition au Louvre en 2024. « Je place beaucoup d’espoir dans l’accord intergouvernemental relatif aux établissements d’enseignement français au Kazakhstan et à l’enseignement du français dans les établissements scolaires du Kazakhstan, a déclaré Emmanuel Macron devant son homologue. Je me réjouis aussi de l’aboutissement de la rénovation de notre dispositif et du lancement à la rentrée 2024 de l’Université franco-kazakhstanaise. » Rendez-vous donc en 2024 : Emmanuel Macron a promis de revenir à Astana dans un an, Kassym-Jomart Tokaïev prendra quant à lui la direction de Ville lumière. L’idéal pour que la lune de miel continue.

Stéphane Clément

Analyste risques et pays

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