Que faire de France Stratégie ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 16 janvier 2017 à 13h03
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70France Stratégie a fêté ses 70 ans en 2016.

Le départ de Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, est l’occasion de se demander si la France ne pourrait pas enfin se débarrasser du fatras d’organismes publics chargés d’œuvrer au profit des dirigeants de l’État à un travail de « réflexion, d’expertise et de concertation », pour reprendre les termes qui servent à France Stratégie à se présenter au public sur internet. Pour faire cela, il existe un Conseil économique, social et environnemental, le CESE, dont beaucoup proposent d’ailleurs la suppression.

France Stratégie, de son vrai nom « Commissariat général à la Stratégie et à la prospective », a pris la succession du Commissariat général au Plan (CGP) en 2006. Le CGP a eu un rôle véritable à l’époque où la conduite des affaires publiques consistait pour une part importante à élaborer et mettre en œuvre des « plans quinquennaux », formule abandonnée depuis 1993. La planification était basée sur une réflexion stratégique, mais elle allait bien au-delà : il s’agissait de prendre des décisions et de définir des enveloppes presque budgétaires pour différentes actions publiques de longue haleine. Autrement dit la réflexion, comportant une certaine dose de concertation, débouchait sur l’action, et plus précisément sur la décision. Mais cette époque est révolue.

France Stratégie n’est plus qu’un think tank, en français un « laboratoire d’idées », formule que cet organisme utilise d’ailleurs pour sa présentation. Mis à part son financement, qui provient de nos impôts (ou des emprunts du Trésor public), il n’existe guère de différence, si ce n’est de taille, de financement et de logement (le prestigieux Hôtel de Vogüé, qui fut dévolu au CGP en 1946), avec l’Institut Montaigne ou Terra Nova. Or, ce dont le Gouvernement et le Parlement ont besoin, ce n’est pas d’un think tank public déconnecté de l’exercice réel du pouvoir ; c’est d’un centre d’ingénierie des politiques publiques, capable de prévoir dans le détail la mise en œuvre des idées stratégiques.

Prenons l’exemple des retraites. Le Conseil d’orientation des retraites, sorte de CESE spécialisé livré en pâture aux partenaires sociaux, est bien incapable, avec sa douzaine de permanents occupés à pondre sans répit des rapports iréniques et des textes préparatoires à ces rapports, de planifier une véritable réforme des retraites par répartition, comportant la fusion de nos 3 douzaines de régimes disparates, le passage aux points et la neutralité actuarielle, sans parler de la transformation radicale du mode d’attribution des droits à pension nécessaire pour disposer d’un système économiquement rationnel. Il faudrait pour cela une équipe plus consistante, mandatée pour planifier une opération de grande envergure, comparable par exemple à l’aménagement des transports en Ile de France.

Notre système de formation, tant initiale que continue, mériterait lui aussi que l’on ouvre un chantier du même type : la France ne peut pas sans déchoir continuer à s’enfoncer en matière de compétences et de structures mentales d’une grande partie de la population. Or, des esprits brillants ont dit ce qu’il fallait faire dans les salles de classe, mais leur compétence pédagogique ne remplace pas le génie organisationnel (j’emploie le mot « génie » dans le sens qu’il a dans l’expression « génie civil ») nécessaire pour restructurer un réseau de dizaines de milliers d’établissementset passer d’une direction bureaucratique à une gouvernance efficace.

La France a besoin d’un ou plusieurs « commissariats », ou comme on voudra les appeler, qui soient de véritables bureaux d’études capables de préparer des réformes structurelles de grande envergure. Et si, pour financer ce qui est utile, les pouvoirs publics doivent supprimer quelques dizaines de Hauts Conseils où, actuellement, un certain nombre d’esprits distingués gaspillent leur talent – à côté, bien sûr, des inévitables pique-assiettes – il n’y a pas à hésiter : l’inefficacité et l’incurie ont atteint un tel niveau que l’heure n’est plus à la guerre en dentelles ; il faut cesser de faire perdre leur temps aux personnes compétentes en les enfermant dans un nuage d’encens pour enfin les placer dans des structures opérationnelles où elles pourront contribuer vraiment au redressement de la France.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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