L’euro nous condamne-t-il à l’austérité ?

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Par Aloïs Navarro Publié le 21 juillet 2014 à 2h26

L'euro n'est pas simplement incarné par des billets et des pièces en circulation. C'est aussi un mode de gouvernance particulier mis en place par les dirigeants européens au fil des années. Ainsi, un cadre réglementaire précis, spécifique et supra-national (qui s'impose donc aux normes françaises) existe dans le but de « sauver » la monnaie unique. Or, l'essentiel de ce cadre s'articule autour d'un noyau austéritaire composé de deux grands corpus : le Six-pack et le two-pack.

Le premier est composé de 4 règlements européens (textes auto-exécutoires) et de 2 directives.

Il prévoit notamment une procédure de de déficit excessif (c'est-à-dire supérieur à 3% du PIB), si un pays ne respecte pas les « recommandations du conseil » (en réalité de la Commission Européenne). En ce cas, la Commission pourra in fine imposer des sanctions financières aux Etats, sauf si le Conseil de l'UE (les ministres compétents des Etats membres de l'UE) s'y oppose (à la majorité qualifiée inversée). Les sanctions peuvent se monter à 0,2% du PIB du pays.

Les recommandations de la Commission ne sont pas des conseils d'amis. Elles s'inscrivent dans ce que l'on appelle le « semestre européen » et doivent leur existence juridique à l'article 123 du Traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) à travers la dénomination de « grandes orientations de politique économique » (GOPE).

A ce titre, pour 2013, on trouve pêle-mêle dans les recommandations :

- la nécessité du retour à l'équilibre budgétaire, c'est-à-dire, consacrer toutes les recettes imprévues à la réduction des déficits, et réexaminer tous les postes dans les sous-secteurs de l'administration publiques

- Retraites : la désindexation, augmenter l'âge légal de départ à la retraite, la durée de cotisation, suppression des régimes spéciaux. Mais : « éviter une augmentation des cotisations sociales patronales »
- La réduction du «coût du travail» (réduction des cotisations sociales patronales, révision du SMIC
- La simplification de l'autorisation des ouvertures de commerces, fin des tarifs réglementés du gaz et de l'électricité pour les clients autres que les ménages
- La diminution des taux d'impôt sur le revenu et sur les sociétés, le rapprochement des taux réduits de TVA du taux normal, TVA sociale...
- La flexibilisation du marché du travail...

On retrouve étrangement ici des thèmes repris par le gouvernement Ayrault puis Valls...

Pour 2014, la Commission nous conseille de manière pusillanimement de revoir le niveau de notre SMIC pour les actifs les moins qualifiés (les jeunes notamment...), de poursuivre l'effort de baisse des « charges » et toute une panoplie de libéralisations...

Le second corpus, le Two-pack, comprend deux règlements. Il organise le « Semestre Européen » où les gouvernements doivent remettre, avec les programmes de réforme, un plan budgétaire à moyen terme (avant le 30 avril). Ce dernier, défini dans le cadre du Six-Pack, vise à ce que les Etats atteignent un déficit structurel inférieur à 1% du PIB. La France s'est cependant engagée à atteindre 0%.

Il impose en outre de communiquer à la Commission leur projet de loi de finances (« plan budgétaire ») avant le 15 octobre. La Commission adopte un avis avant la fin novembre. Si la Commission estime que ce plan présente un « manquement particulièrement grave », elle pourra (après avoir consulté l'Etat concerné) en demander la révision. Un État placé sur surveillance renforcée devra adopter, en concertation avec la Commission et la BCE, des mesures visant à remédier aux causes de ses difficultés, et remettre un rapport trimestriel. (UMP, PS, Modem ont voté pour au Parlement européen.)

Une disposition davantage cosmétique vient chapeauter le tout : le TSCG qui impose une règle d'or dans le droit national. En France, oblige l'État à retrouver l'équilibre structurel de ses comptes publics, soit un déficit structurel limité à 0%.

Bref, tout cet arsenal concourt à penser que l'austérité est juridiquement organisée, ce qui laisse peu de place aux « relances » revendiquées par certains égarés du PS, qui approuvent et votent le contraire de ce qu'ils clament, en se passant ainsi des menottes en plastiques.

Quels ont été les effets des politiques d'austérité ?

Les consolidations budgétaires organisées par Bruxelles avec la complicité des Etats membres coûtent cher. L'OFCE a tenté de calculer l'impact de l'austérité sur la croissance en France. En effet, la politique budgétaire n'est pas neutre (au grand désarroi des libéraux qui ont une approche comptable des choses). Ainsi, il est désormais communément admis que lorsqu'on diminue la dépense publique de 1%, l'impact négatif sur le PIB est supérieur à 1% (probablement autour de 1,3). C'est le fameux multiplicateur des dépenses publiques. (S'agissant des impôts, il est plutôt autour de 0,8% (https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/une-revue-recente-de-la-litterature-sur-les-multiplicateurs-budgetaires-la-taille-compte/). Au total, depuis 2010, la France a perdu 7 points de PIB en raison de l'austérité selon l'OFCE, et 4,8 (pour la période 2011/2013) selon la direction « EcFi » de la Commission Européenne.

France: Impact de l'austérité sur la croissance (en point de PIB). OFCE

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Selon la direction EcFi de la Commission pour la période 2011/2013

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Encadré 2 : Bilan économique et social :

Grèce : 2008-2013 : PIB : -25%, population : -10%, chômage : multiplié par 240%, SMIC : -25%, suicides : +50%, 45% des Grecs sous le seuil de pauvreté de 2009.

Espagne : chômage : +170% (10 à 27%). Chômage des jeunes : 55%. Dette : + 25% en 3 ans. (68% du PIB en 2011, 85% en 2012 et 90% en 2013). (Budget 2013 : baisse de 6,3% des allocations chômage, baisse de 31% des fonds pour payer les salaires dans les entreprises déclarées insolvables, baisse de 14,5% du budget de du Ministère de l'éducation, baisse de 14% du budget des services sociaux (personnes âgées et handicapées...).

On voit donc que l'austérité organisée par Bruxelles n'est peut-être pas la voie à privilégier en temps de crise.

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Aloïs Navarro est étudiant en Master de Droit et d'Economie, passionné par les questions monétaires et notamment l'euro. Il est également trésorier du collectif Marianne.

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