Et si la Banque centrale européenne achetait la dette américaine ?

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Par Isabelle Mouilleseaux Publié le 11 avril 2014 à 2h52

Il s’appelle Jeffrey Frankel. Il est professeur d’économie à l’université d’Harvard ; un adepte du "think out of the box”, de la pensée originale et non conformiste.

Il est surtout l’homme qui pourrait mettre tout le monde d’accord, car l’application de son idée permettrait :

• à Draghi (Banque centrale européenne) d’imprimer des euros à volonté

• en obtenant le quitus des orthodoxes allemands

• tout en envoyant Janet Yellen de la Fed au septième ciel

Il ne vous a pas échappé que la déflation frappe à la porte

Elle opère déjà à visage découvert en Espagne, Irlande, Chypre, Grèce, Portugal ou encore Slovaquie. En zone euro, elle se rapproche et aura bientôt la peau de l’inflation qui s’essouffle et suffoque au lent rythme de 0,5% par an. Un plus bas depuis... 2009.

Pour Alain Pitous, directeur adjoint des gestions chez Amundi, la déflation n’est pas un risque à prendre à la légère : "il suffirait d'un choc exogène pour basculer rapidement. Une possible baisse des prix est quelque chose que l'on garde en ce moment à l'esprit".

A votre avis, pourquoi Jens Weidmann, le très orthodoxe président de la Bundesbank, aurait-il récemment lâché du lest en annonçant qu’il n’était "pas exclu que la BCE prenne des mesures d'assouplissement quantitatif" ? Une véritable volte-face de cette vénérable institution, gardienne de la rigueur monétaire depuis des décennies. Pour que cette dernière accepte, spontanément de surcroît, d’aller contre ses principes les plus sacrés, c’est qu’elle doit avoir des craintes avérées.

N’oubliez pas que la déflation est un mal destructeur qu’on ne sait pas soigner. Plus de 20 ans que le Japon tente de dompter le monstre déflationniste dont il est la proie, sans aucun succès. Au point de se lancer dans un "Abenomics" aussi flamboyant que suicidaire, un véritable hara-kiri national. Du jamais vu dans l’histoire monétaire mondiale.

Mais il n’y a pas que la déflation qui menace l’Europe.

L’économie européenne est asphyxiée par un euro trop fort

La Fed imprime ; la banque du Japon imprime ; la banque d’Angleterre imprime ; la banque nationale Suisse imprime ; même la Chine déprécie actuellement son yuan et contrôle sa monnaie. Nous assistons à une course folle à la dépréciation des monnaies dont le seul objectif, pour les pays à la manœuvre, est de retrouver une compétitivité à moindre effort pour rétablir leur balance commerciale. Partout, sauf en Europe... ou l’euro – victime de cette course à la dépréciation - caracole à des niveaux stratosphériques pour la plupart des pays de la zone euro, y compris la France. Les politiques, Hollande en tête, rêvent de voir Draghi se lancer dans la guerre des monnaies, QE européen à l’appui ... Obtiendront-ils gain de cause ?

C’est là qu’intervient Jeffrey Frankel.

Draghi n’a pas beaucoup de latitude pour se lancer dans une politique monétaire laxiste : notre taux directeur est déjà proche de 0.

Reste qu’on pourrait se lancer dans un QE à l’européenne (comprenez « faire tourner la planche à billets) en activant les fameux OMT dont on parle depuis bientôt deux ans, sans jamais les mettre en œuvre.

Oui ! Mais qu’acheter, se demande Frankel ? Il n’y a pas d’eurobonds. Il faudrait donc aller acheter des obligations d’État des pays membres. Ce que l’Allemagne n’acceptera en aucun cas pour des raisons entre autres juridiques : la BCE outrepasserait ses droits. Et puis n’oubliez que les taux d’intérêt des pays périphériques se sont beaucoup détendus. Il n’y a donc aucune nécessité d’aller acheter ces obligations d’État pour les faire baisser davantage.

Alors que faire ?

La BCE n’a qu’à créer des euros pour acheter des bons du Trésor américain !

Telle est la brillante solution que propose Frankel. Un point de vue... tout à fait américain.

1 - Cela permettrait à l’Europe de déprécier l’euro afin de rétablir les compétitivités des pays membres

2 - Cela ne contreviendrait pas au droit de la BCE dont l’orthodoxie allemande est gardienne

3 - Quant à Janet Yellen, nous pouvons imaginer qu’elle serait aux anges. Car n’oubliez pas que les grands pays acheteurs d’obligations américaines (Chine en tête) se désengagent depuis des mois et achètent de moins en moins d’obligations d’état US. Or il va bien falloir que quelqu’un les achète, surtout si la Fed diminue, elle aussi, ses rachats pour cause de taper... Les Américains cherchent preneurs !

La solution Frankel arrangerait bien les affaires de la FED...

Quittons-nous sur un dernier mot : 20 ans que le Japon "imprime" pour contrer la déflation et relancer un semblant d’inflation sans jamais réussir. Plus de 3 000 milliards de dollars ont été injectés par la Fed depuis 2008 dans le système, et pourtant le taux d’inflation US se traîne à moins de 1% en rythme annualisé... Pas sûr que la BCE réussisse là où les autres ont échoué.

Pourquoi les bilans des banques centrales explosent-ils sans qu’une véritable inflation ne pointe son nez ? Parce que la vélocité de la monnaie s’est effondrée : l’argent ne tourne pas. Il n’entre même pas dans la sphère de l’économie réelle. Il reste cantonné dans la sphère de l’industrie financière où il enrichit les financiers en créant des bulles...

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 Isabelle Mouilleseaux est directrice de publication chez Publications Agora.

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