L’économie allemande passe la vitesse supérieure

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Par Anthony Benhamou Modifié le 3 mars 2015 à 7h22
Allemagne Relance Economie
1,5 %La croissance allemande devrait s'établir à 1,5 % du PIB en 2015.

Fausse alerte. Le coup d’arrêt qu’a connu l’Allemagne en milieu d’année 2014 apparaît être, ex post, un accident conjoncturel. L’économie allemande à en effet accéléré au dernier trimestre pour finalement terminer l’année sur une croissance soutenue.

En outre, tous les indicateurs sont désormais dans le vert, témoignant ainsi de la robustesse des fondamentaux économiques du pays. Dans ces conditions, toutes choses égales par ailleurs, l’Allemagne devrait afficher en 2015 une croissance annuelle de son PIB d’au moins 1,5%. Tout roule donc…

Bifurcation en direction de l’autoroute de la croissance

Après avoir connu un début d’année 2014 prometteur (croissance trimestrielle de 0,8%), l’économie allemande a traversé une période difficile, enregistrant une contraction de son PIB au deuxième trimestre (-0,1%), puis une phase timide de rétablissement au troisième trimestre (+0,1%). La fin d’année s’avérait donc décisive. Car de fait, les chiffres d’activité du quatrième trimestre allaient permettre d’y voir plus clair quant à une éventuelle rupture de tendance. Mais fort heureusement, le pays est parvenu lors du dernier trimestre 2014 à sortir de l’ornière, affichant une croissance trimestrielle de 0,7% : il ne s’agissait que d’un trou d’air, nous voilà maintenant rassurés.

Cette accélération du PIB allemand est notamment imputable au dynamisme de la demande intérieure du pays. Comme au troisième trimestre, la consommation des ménages s’est bien tenue, affichant une progression trimestrielle de 0,8%, à la faveur d’un climat économique assez favorable. Le marché de l’emploi n’a ainsi cessé de s’améliorer durant le quatrième trimestre et l’exercice 2014 s’est même révélé être celui de l’inversion de la courbe du chômage. Après deux années consécutives de hausse en effet, l’économie allemande a connu l’année dernière une diminution du nombre total de demandeurs d’emploi (- 108 000 personnes), permettant au taux de chômage d’atteindre 6,7% de la population active. En parallèle, le repli des cours du pétrole depuis l’été dernier s’est traduit pour les ménages par un surplus de pouvoir d’achat, via notamment une baisse des prix de l’essence à la pompe et un recul de leur facture de chauffage.

On note également un léger rebond de l’investissement privé. Après une contraction de 0,8% au deuxième trimestre, puis une chute de 4,5% au troisième, l’investissement des firmes nationales a en effet progressé de 0,2%, principalement grâce au secteur de la construction (+2,1%) et, dans une moindre mesure, aux biens d’équipement destinés à l’export (+0,4%). La dépréciation de l’euro, conjuguée à la reprise économique chez certains partenaires commerciaux européens du pays, a en effet permis de rétablir la confiance des entreprises allemandes sur la perspective de nouveaux débouchés. Un regain d’optimisme dès lors suffisant pour contrebalancer le comportement dévastateur de wait and see qu’avaient adopté les investisseurs à la suite de la crise russo-ukrainienne et de l’inflation des sanctions occidentales.

Enfin, une fois n’est pas coutume, la demande extérieure a contribué positivement à la croissance du pays. Au quatrième trimestre en effet, les exportations en biens et services allemands ont augmenté de 1,3% par rapport au troisième trimestre, tandis que la vitesse de progression des importations a pour sa part légèrement ralenti pour s’établir à 1,0%. Mieux, sur l’ensemble de l’exercice 2014, les exportations ont affiché une croissance de 3,7% (à 1 133,6 milliards d’euros) contre 2,0% pour les importations (à 916,5 milliards d’euros), permettant ainsi à l’Allemagne d’afficher un nouveau record historique de son excédent commercial (217,1 milliards d’euros), après déjà une très bonne année 2013 (195 milliards d’euros).

En définitive, l’Allemagne a affiché en 2014 une croissance annuelle de son PIB de 1,6%, soit légèrement au dessus de celle de l’Union européenne (+1,4%), mais néanmoins bien plus forte que celle de la zone euro (+0,9%). Le pays a donc renoué avec la reprise économique, rompant de fait avec deux années de croissance molle (+0,2% en 2013 et +0,6% en 2012). Demain sera-t-il alors encore meilleur ?

Trafic à priori fluide, vitesse maximale

Le rebond significatif de l’activité au quatrième trimestre 2014 permet à l’Allemagne d’entamer l’année 2015 sous les meilleurs auspices. Avec un acquis de croissance confortable de 0,5%, la prévision de croissance de la Commission européenne pour cette année (+1,5%) apparaît en effet être largement crédible, voire même quelque peu prudente. Car à l’évidence, les composantes domestiques et extérieures de l’économie allemande devraient une nouvelle fois bien se porter, en particulier dans un environnement économico-financier des plus favorables. Récemment d’ailleurs, la Bundesbank a indiqué « qu’étant donné l’éclaircissement de la conjoncture, il est concevable que les prévisions sur la croissance économique en Allemagne soient nettement plus élevées en cours d’année que les estimations préliminaires ».

La consommation des ménages devrait être le principal pilier de la croissance allemande en 2015. En effet, en dépit d’une stabilisation prévisible des cours de l’or noir (nous tablons sur un prix moyen du baril oscillant autour des 58 dollars), le moral des ménages devrait demeurer au beau fixe, comme en attestent les niveaux actuels de l’indice GfK qui s’établissent à des plus hauts depuis treize ans (9,3 en février dernier et sans doute 9,7 en mars prochain). Deux raisons permettent d’expliquer cette dynamique positive. Premièrement, la forme actuelle du marché du travail semble porter en elle un caractère durable qui devrait se traduire par de nouveaux records à la baisse du taux de chômage allemand cette année (actuellement 6,5%). Deuxièmement, l’instauration le 1er janvier dernier d’un salaire minimum national ainsi que l’accord sur une hausse de 3,4% des salaires dans la métallurgie (automobile, équipement, électronique) devraient soutenir le pouvoir d’achat des ménages, spécifiquement dans un contexte désinflationniste (voire déflationniste pour le premier semestre) et de taux bas n’incitant pas à l’épargne.

Cette hausse des débouchés en interne devrait ainsi naturellement contribuer à éclaircir les perspectives des firmes nationales et stimuler leurs investissements productifs en 2015. D’autant plus d’ailleurs que les débouchés à l’international pourraient également s’accroître sous l’effet, d’une part de l’amélioration de la conjoncture économique des Etats membres de la zone euro liée à l’assouplissement monétaire de la BCE, et d’autre part, d’un surplus de compétitivité dans le cadre des échanges hors zone euro (Etats-Unis et Chine) issu de la dépréciation de la monnaie unique.

Autant d’éléments qui au final ont participé à l’amélioration du climat des affaires allemand. A titre d’illustration, au mois de février l’indice Ifo, calculé sur la base d’enquêtes auprès d’environ 7000 entreprises, s’est établi à 106,8 points, soit son niveau le plus élevé depuis juillet dernier. Même son de cloche du côté du Zew qui en février a atteint 53 points, un plus haut depuis un an. Enfin, selon les premières estimations de la société Markit, le PMI composite allemand s’est élevé en février à 54,3 points (tiré principalement par le secteur des services), un plus haut depuis sept mois.

Cette vivacité de la demande intérieure devrait par ailleurs contribuer à changer la nature du modèle de croissance du pays. En effet, si en 2015 le rythme des exportations devrait accélérer grâce à l’amélioration globale du commerce mondial, la vitesse des importations allemandes pourrait augmenter plus rapidement, limitant dès lors de manière inhabituelle la contribution des exportations nettes dans le PIB. Un rééquilibrage nécessaire et véritablement bienvenu qui devrait en définitive permettre au pays d’être relativement moins sensible aux aléas conjoncturels externes.

Mais attention au risque d’encombrement

Après une année 2014 assez chaotique (Cf. les variations trimestrielles du PIB), tout laisse donc à penser que l’économie allemande se dirige vers une année 2015 faste. Une autoroute de la croissance. Toutefois, il est impossible de passer sous silence certains risques susceptibles de créer des ralentissements imprévus. Ces risques sont de plusieurs natures (économique, politique et géopolitique) et, en cas de matérialisation, pourraient avoir des répercussions plus ou moins élevées sur la conjoncture allemande.

Tout d’abord, l’évolution des prix. En janvier dernier, sous l’effet de la baisse des cours du pétrole, le taux d’inflation annuel harmonisé du pays est passé pour la première fois depuis octobre 2009 en territoire négatif (-0,5%). En parallèle, l’inflation annuelle de la zone euro est ressortie à -0,6%, après déjà -0,2% en décembre. A priori, le risque de décrochage des anticipations des agents économiques semble assez limité outre-Rhin, au regard notamment de l’évolution positive des salaires et de la tendance haussière des indicateurs de confiance. Néanmoins, la menace d’une spirale déflationniste est bel et bien réelle pour certains Etats membres de la zone euro, en dépit de la politique d’assouplissement monétaire lancée par Mario Draghi le 22 janvier dernier dont, après coup, le timing ne semble pas avoir été optimal. Les exportations allemandes en zone euro pourraient dès lors fluctuer en fonction de l’évolution des anticipations d’inflation en zone euro.

Puis, la question grecque. Si un compromis a été trouvé in extremis entre le gouvernement d’Alexis Tsipras et les « institutions », celui-ci semble néanmoins fragile (sur les dernières négociations, Yanis Vafourakis et Wolfgang Schäuble n’étaient même plus dans la même pièce, de sorte que Jeroen Dijsselbloem, Christine Lagarde et Pierre Moscovici ont été contraints de faire la navette entre les deux ministres des finances) et n’est en outre limité qu’à seulement quatre mois. A l’évidence donc, le grexit devrait refaire son apparition à la fin du mois de juin prochain, d’autant plus que le gouvernement allemand semble désormais prêt à accepter un tel scénario comme en témoignent les déclarations d’Angela Merkel en début d’année. Ainsi, en fonction du comportement qu’adopteront les autorités grecques dans les semaines à venir, on pourrait assister dès l’été prochain à l’émergence temporaire d’un climat d’incertitude, venant alors peser sur le moral des investisseurs européens et notamment allemands.

Enfin, le conflit russo-ukrainien. En dépit de plusieurs accords de cessez-le-feu et de l’initiative de Paris-Berlin pour ramener la paix à l’Est de l’Europe, les combats ne cessent de s’intensifier et la pression internationale d’augmenter. Dernièrement par exemple, certains responsables politiques américains ont évoqués ouvertement la possibilité de livrer des armes à Kiev. Plus récemment encore, le chef de la diplomatie américaine John Kerry a accusé le Kremlin de « mentir droit dans les yeux » lorsqu’il nie toute implication dans le conflit en Ukraine. Or, si la situation venait à s’enliser et, pour reprendre les termes de François Hollande, « le scénario de guerre » se concrétiser, la conjoncture économique mondiale pourrait subir des externalités négatives considérables et basculer soudainement. L’économie allemande pourrait alors en pâtir.

Ces menaces ne peuvent donc être ignorées. Néanmoins, il convient de ne pas les surestimer non plus. Car à l’évidence, le pays dispose dorénavant d’une double couverture au risque. Tout d’abord, grâce au rééquilibrage de son modèle de croissance, l’Allemagne est de fait moins exposée aux chocs extérieurs. Puis, dans le cas où les fluctuations économiques du pays s’avéraient défavorables, le gouvernement peut lancer une politique économique expansionniste via les marges de manœuvres budgétaires appréciables dont il dispose (excédent public en 2014 de 18 milliards d’euros, soit 0,6% du PIB). Sans oublier d’ailleurs que s’il le fallait, l’Allemagne est également capable de financer ce type de politique par l’emprunt sur les marchés… à des taux négatifs pour les maturités inférieures ou égales à cinq ans.

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Anthony Benhamou est un économiste diplômé de l'université de Paris Dauphine. Il a notamment exercé pendant trois années en tant que consultant auprès de grandes entreprises internationales. Maître de conférences à Sciences-Po Paris et tuteur enseignant à l'université de Paris Dauphine, il rédige par ailleurs avec Marc Touati de nombreuses chroniques économiques et financières pour le cabinet ACDEFI.

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