Ces offres qu’on ne peut pas refuser

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Par Bernard Cherlonneix Publié le 21 juin 2016 à 5h00
France Decalage Politique Population Crise
95 %La dette française atteint plus de 95 % du PIB.

Chacun se souvient de cette phrase de Marlon Brando dans le film « Le Parrain » de Francis-Ford Coppola : « Je vais lui faire une offre qu’il ne pourra pas refuser » et surtout de la première manifestation « chevaline » de cette menace de prime abord voilée.

Force est aujourd’hui de constater que les offres que l’on ne peut pas refuser, sans être aussi sanguinaires, tendent à se multiplier sous nos yeux et dessinent une toute autre société que celle que nous pensons encore habiter.

L’industrie informatique du software fournit l’exemple économique le plus criant d’expansion de ce modèle de pénibilité imposée. Quel utilisateur, entreprise ou particulier, a déjà demandé ou fait pression sur Microsoft pour passer de Windows XP à Windows Seven ou à Windows 10 ? Le changement de logiciel est en fait une offre que personne ne peut refuser et que le producteur impose au consommateur sans aucune utilité perceptible, au contraire, pour celui-ci. Microsoft, quasi-monopole mondial de fait coté en bourse, voit-il que ses recettes fléchissent et tirent son EBITDA à la baisse, comprend qu’il a un besoin urgent d’un relais de croissance. Qu’à cela ne tienne : il va lancer sur le marché une version améliorée de sa gamme de logiciels universellement utilisés. Peu importe si cette « amélioration » est de la novlangue pour l’utilisateur lambda, qui n’utilise que 10 % des fonctionnalités d’Outlook, Word ou Excel, et ne se traduit concrètement que par un chamboulement de ses habitudes laborieusement établies (car bien entendu le « lascar » qui pilote la nouvelle version ne se soucie nullement de l’intérêt du consommateur qui devrait faire prévaloir un progrès incrémental sous forme par exemple d’options nouvelles). Changer tout en revanche est une manière de justifier l’importance de cette amélioration, qui va être imposée au monde entier. Comment Microsoft s’y prend-il ? Il lui « suffit » d’annoncer qu’à compter de telle date il n’assurera plus la maintenance de la gamme précédente. Quelle grosse entreprise cliente acceptera de mettre son système d’information en danger ? Et voilà comment dans un capitalisme déséquilibré, un monopole mondial de fait peut maintenir ou améliorer son EBITDA et son cours de bourse sans bénéfice perçu par le consommateur final, dindon de la farce de cet odieux chantage qui passe pour « la vie des affaires ».

La politique reste cependant le lieu privilégié où le citoyen désarmé se voit en permanence imposé des choses qu’il n’a pas demandé, qu’il n’a en aucune manière, ni directement, ni indirectement décidé, et qui vont soit chambouler ses habitudes sans aucun intérêt pour lui, soit le désorienter un peu plus face à une organisation de la Cité toujours plus absconse, toujours plus autiste. Nous ne retiendrons ici que deux exemples très simples, mais ils sont légion. La France se singularisant, comme chacun sait, par un « mille feuilles administratif » à la base duquel se trouvent 35 000 communes, le Gouvernement a entrepris ex abrupto de tailler dans cette sédimentation… et s’y est pris à l’envers en commençant par le haut. Mais peu importe ici. A la faveur de cette réforme, on entreprend de rebaptiser une des plus vieilles institutions héritées de la Révolution : le Conseil Général, que chaque citoyen (en dehors de ceux des grandes métropoles où son maintien purement factice n’est qu’un fromage pour élus surnuméraires) situe et connaît bien, est renommé « Conseil Départemental ». C’est certes sémantiquement plus clair, mais quel est le bénéfice réel ou perçu par le citoyen ? Il est nul, ou négatif, ne serait-ce qu’en raison des coûts inutiles entraînés par ce changement : refonte des imprimés, sites, cartes de visite. Sans parler de la nécessité irritante pour toute une population de se corriger plusieurs fois par jour pour être « à la page » de cette évolution purement cosmétique. Dans le même genre d’offres incongrues imposées au peuple dit souverain par des souverains délégués qui se croient tout permis, on retiendra la valse des périmètres et des noms des ministères (ainsi que celle, moins fréquente, mais toujours inassimilée par l’homme de la rue, des services extérieurs de l’Etat) à chaque remaniement gouvernemental. Si bien qu’on peut aujourd’hui défier quiconque, même parmi les hauts fonctionnaires, de nommer de manière exacte les principaux ministères, sans parler des moindres, tous découpés et renommés sur mesure pour s’adapter à la taille des prébendes politiques attribuées, proportionnelles à l’importance du ministre ou au niveau d’allégeance recherché.

Comment remédier à ces asymétries croissantes et criantes qui plongent dans l’hébétude tant le réputé « consommateur-roi » que le supposé « citoyen-souverain », et font vaciller les représentations « officielles », même si nous les savons enjolivées, d’une société dite de « libertés » (mais au fait pour qui donc ?) et qu’une phraséologie égalitaire et une emphase républicaine décalées rendent encore plus insupportables ?

La généralisation de ces offres qu’on ne peut pas refuser dessine en creux le portrait robot d’une puissance publique au service d’un intérêt général perceptible par le citoyen comme par le consommateur qui aurait pour mission de réduire ces asymétries manipulatoires et infantilisantes qui transforment le rêve démocratique en cauchemar oligarchique. On ne pourra renouer avec ce rêve qu’en recentrant les puissances publiques (Etat, Commission Européenne, ONU, OMC...) sur leur rôle arbitral. Des puissances publiques, fortes moins de leur nombre de fonctionnaires et de leurs prérogatives, que de leurs compétences (s’appuyant sur les travaux universitaires et sur la recherche), et de leur impartialité, incorruptibilité inflexibilité face à de puissants intérêts coalisés et transfrontières. Un état d’esprit et des qualités à quérir autant à l’extérieur de l’administration elle-même, chez des professionnels expérimentés, indépendants et passionnés par l’intérêt général, comme il en existe au sein des entreprises et des professions libérales, de la société civile, de l’université, qu’à l’intérieur où bien de jeunes haut-fonctionnaires professionnellement novices sont facilement instrumentables par les intérêts privés au sein desquels ils ambitionnent de faire ultérieurement carrière.

La multiplication des mafias inavouées et des offres inacceptables en appelle à la reconstitution d’un Etat juste et fort de ses compétences servi par des esprits libres et impartiaux réellement au service des consommateurs et des citoyens.

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Bernard Cherlonneix est Président de l’Institut pour le Renouveau Démocratique.

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