L’incohérence économique du Front National

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Par Christopher Dembik Publié le 31 mars 2017 à 5h00
Marine
2 %Le Front national table sur une prévision de croissance de 2 % l'an prochain.

Dans cette campagne présidentielle, il est tout à fait frappant de noter que la majorité des candidats (en particulier François Fillon et Emmanuel Macron) ont présenté un cadre budgétaire plutôt prudent pour les cinq années à venir. Ils ont sans doute retenu la leçon de la campagne de 2012 durant laquelle François Hollande avait présenté des prévisions économiques trop optimistes, qui se sont avérées totalement contraires à la réalité et ont entrainé des conséquences économiques désastreuses.

Dans son programme, le Président sortant prévoyait que la croissance annuelle du PIB atteindrait 2 % à partir de 2014, mais elle n’a finalement été que de 0,9% entre 2014 et 2016. En ce qui concerne le déficit public, l’objectif était d’atteindre 0 % en 2017, mais il devrait être d’environ 2,7 % selon les prévisions officielles. En raison d’une compréhension erronée de la situation économique, François Hollande a débuté par la mise en œuvre d’une politique économique inadaptée, avant d'être contraint à augmenter massivement les impôts sous la pression de la Commission Européenne.

Nous pouvons anticiper un scénario défavorable similaire, avec le programme de Marine Le Pen. Jusqu'à présent, la candidate d’extrême droite a évité de donner un cadre budgétaire détaillé, montrant ainsi clairement que le parti n’est pas encore tout à fait confiant quant à la politique économique. Les seules données qui ont été fournies confirment une vision trop optimiste et non fondée sur des éléments crédibles. Le Front Nationale table sur des objectifs de croissance de 2% à partir de l’année prochaine et 2,5% à la fin du quinquennat. Même en considérant qu’environ 86,5 milliards d’euros d’investissements sont prévus, il est assez difficile de comprendre comment le parti pourrait obtenir un tel niveau de croissance du PIB, sans introduire des réformes qui dynamisent l’activité économique (en s’attaquant par exemple à la question clé de la productivité). Au cours du prochain quinquennat, la croissance sera probablement beaucoup plus faible, puisque le Sénat prévoit que la croissance moyenne du PIB ne pourrait être que de 1,2 % sur la période 2015-2021.

En outre, plusieurs dépenses importantes ne sont pas prises en compte dans le budget, telles que la réduction de 10 % de l’impôt sur le revenu pour les trois premières tranches, la réduction de la taxe d’habitation ou encore l’augmentation de l’allocation aux handicapés adultes. Le Front National tente de répondre à ces critiques en insistant sur le fait qu’il va intensifier la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. En 2014, ces mesures ont permis au gouvernement français de récupérer 20 milliards d’euros et près de 21 milliards d’euros en 2015. Il s’agit d’un montant significatif, mais il ne représente qu’un vingtième environ des dépenses actuelles de l’Etat. Même en envisageant le scénario le plus optimiste, cela ne sera pas suffisant pour financer toutes les nouvelles mesures prévues par le Front National. Par conséquent, dans un contexte probable de croissance faible, il est pratiquement impossible que le déficit public n’augmente que d’un point la première année du quinquennat, pour ensuite décroitre jusqu’à atteindre 1,3% en 2022, comme le prévoit le Front National. Le fait de ramener l'âge du départ à la retraite à 60 ans (contre 62 actuellement) constitue la mesure sociale susceptible de peser le plus lourdement sur les dépenses publiques, et pourrait conduire la Commission Européenne à engager une procédure contre la France pour déficit excessif.

Incapacité à mesurer l'impact économique d’une sortie de la zone euro

Pour un économiste, le principal problème réside dans l’impossibilité de mesurer l'impact économique du programme du Front National. En effet, le coût d’une sortie ne peut pas être calculé à l’aide de modèles économétriques car un tel évènement n’a pas de précédent dans l'histoire moderne. Ce qui est certain, cependant, c’est que la sortie de la zone euro obligerait à relibeller la dette publique en nouveaux francs. La question ne concerne pas tant la dette publique, mais davantage la dette extérieure privée des ménages et des entreprises, qui atteint près de 150% du PIB (soit plus que la dette publique). Il est évident que les créanciers étrangers n'accepteront pas facilement une décote de leurs titres et un remboursement en monnaie de singe, ce qui devrait entrainer de nombreux litiges juridiques au niveau international et geler l'entrée des capitaux dans le pays.

Par ailleurs, sa sortie ne redonnera à la France ni son indépendance ni sa souveraineté monétaires. Marine Le Pen a souligné à plusieurs reprises sa détermination pour que le nouveau franc évolue avec une marge de fluctuation similaire à celle du système monétaire européen. Cependant, ce type de système ne protège pas de la spéculation. Si le marché vient à considérer que le taux de change ne reflète pas la situation économique du pays, les investisseurs attaqueront la monnaie, comme ce fut le cas pour la livre sterling en 1992. Dans ces circonstances, une dévaluation d'au moins 20 % du nouveau franc est tout à fait envisageable. La France se trouverait alors rapidement dans une situation intenable, ne bénéficiant plus du bouclier protecteur de la BCE et étant totalement impuissante face à la spéculation internationale.

En fin de compte, lorsque le Front National est confronté à la question de la dévaluation de la monnaie, il préfère mettre l’accent sur le fait qu’elle permettrait de retrouver la compétitivité. Le parti considère en effet que ce serait la bonne solution pour éviter de procéder à une dévaluation salariale comme cela s’est produit au Portugal et en Espagne. Indéniablement, la France a un problème de positionnement milieu de gamme, mais une dévaluation de la monnaie n'apporterait qu’une bouffée d'air frais temporaire à l'économie (sachant qu'elle serait accompagnée d’un renchérissement du coût des importations, en particulier pour les produits pétroliers, ce qui aurait un impact négatif sur l'économie dans son ensemble). Le pays ne subit actuellement aucune pression inflationniste inquiétante, mais une dévaluation pourrait accroitre cette pression de manière significative entrainant une hausse des prix à la consommation. Le paradoxe du Front National consiste à prétendre « vouloir défendre le pouvoir d'achat du peuple français » quand en cherchant à sortir de la zone euro, il obtiendra l'effet contraire, car le pouvoir d'achat se verra réduit par l'inflation.

« Le protectionnisme comme solution »

Le protectionnisme n’est pas un thème nouveau dans le programme du Front National. En ce sens, Marine Le Pen n'a pas tout à fait tort quand elle proclame qu'elle a probablement servi d’inspiration à Donald Trump. Depuis de nombreuses années, le protectionnisme est évoqué comme la meilleure solution pour stopper la désindustrialisation de la France (la part de l'industrie dans le PIB de la France a chuté de 25% à 10% depuis les années soixante). Ce qui est nouveau, c’est que le protectionnisme est également évoqué comme un moyen possible de financer des mesures sociales. Pour ce faire, le parti propose essentiellement deux réformes :

- L’instauration d’une taxe sur les nouveaux contrats signés par des employés étrangers afin de financer les allocations chômage. Une telle idée n’a rien de vraiment nouveau, elle est d’ailleurs partagée au sein de plusieurs partis politiques français (de droite comme de gauche), pour combattre la directive Bolkestein et limiter la mobilité de la main-d'œuvre au sein de l'UE. À titre d’exemple, de nombreuses figures politiques parmi « Les Républicains » (aile droite) soutiennent fortement le vote d'une loi (dite « Clause Molière ») qui obligerait les travailleurs à parler le français sur les chantiers de construction ou à engager au moins un traducteur, ce qui renchérirait mécaniquement le coût du travail. Sur ce sujet, la position du Front National est fallacieuse pour deux raisons principales. Premièrement, l’arrivée de travailleurs étrangers dans le pays devrait plutôt être considérée comme un signe d’attractivité de l’économie. Deuxièmement, la France souffre d’une pénurie de main-d'œuvre dans de nombreux secteurs. Selon le Medef (l’association du patronat français), près d'un tiers des entreprises du secteur industriel font face à des difficultés de recrutement. L'objectif de la France (ou son erreur) a été de former les élèves pour qu’ils deviennent des professeurs, des psychologues et même des économistes alors que le pays a désespérément besoin d'ingénieurs, de développeurs informatiques et de soudeurs. Si les entreprises ne trouvent pas les compétences sur le marché intérieur, il est tout à fait normal qu'elles les cherchent à l’étranger, pour satisfaire ce besoin de compétences.

- Une contribution sociale (sous la forme de taxe) de 3% calculée sur les importations de biens et services et appliquée aux pays ne respectant pas les normes internationales en matière sociale, comme la Chine. Le Front National espère que cette taxe représentera environ 15 milliards d'euros qui seront alloués pour réévaluer les bas salaires et les petites pensions. Comme c’est souvent le cas avec les mesures économiques du Front National, l’instauration d’une telle taxe présuppose une renégociation des règles commerciales et douanières au niveau européen. En outre, elle aura au moins deux impacts négatifs immédiats. Le pays visé par cette taxe pourrait mettre en œuvre des mesures de rétorsion similaires, qui pourraient nuire aux relations commerciales de la France, surtout s’il s’agit de la Chine. Enfin, le coût supplémentaire engendré par cette taxe est susceptible d'être répercuté sur les consommateurs, ce qui réduirait de facto son impact positif sur le pouvoir d’achat de la classe ouvrière et des retraités.

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Christopher Dembik est économiste chez SaxoBank.

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