Banques émergentes : convergence en trompe l’œil ?

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Par Yoann Lhonneur Publié le 14 septembre 2013 à 3h59

Les apparences sont trompeuses. A en croire leurs parcours boursier, les pays émergents perdent du terrain dans le paysage bancaire mondial. Autour de 1 049 milliards de dollars à la mi-2013, la capitalisation cumulée des 15 principaux groupes issus de ces zones a reculé de 2% entre 2011 et mi-2013 après une hausse de +19% entre 2006 et 2011, alors que celle de leurs consœurs occidentales a fortement rebondi (+43% entre fin 2011 et mi-2013). Mais en réalité, l'enjeu est ailleurs. L'évolution contrastée de trajectoires boursières cache un dynamisme très largement à l'avantage des premières.

D'un côté, les banques occidentales, notamment européennes, subissent de plein fouet le durcissement de la réglementation et le ralentissement de leurs Produits Nets Bancaires en banque de détail. En découle un vaste mouvement de deleveraging, préalable à une atrophie de leurs bilans. A l'opposé, l'évolution des principaux ratios et des grandes masses traduit un rattrapage objectif des banques émergentes : croissance rapide des actifs, augmentation des encours de crédit et de dépôts à un rythme à deux chiffres, persistance d'un coefficient d'exploitation sous les 50%, base clients globalement jeune, profitabilité encore élevée... Et ce n'est pas terminé. Moins contraintes par les normes de Bâle 3 et de contrôle interne, marginalement exposées aux activités de marchés, leurs atouts comparatifs devraient libérer un potentiel de croissance et concentrer leurs efforts sur un paramètre-clé : la collecte des dépôts.

Les banques émergentes seraient-elles enfin sur les traces de leurs consœurs occidentales ? Cette convergence n'est qu'apparente. Car si l'industrialisation des pays émergents a souvent été pilotée de dehors, via le commerce extérieur, la montée en puissance des systèmes bancaires locaux est pilotée de l'intérieur, par des moteurs essentiellement endémiques. Dit autrement : confrontées à des enjeux qui changent de nature, les banques du Sud ne se battent pas sur les mêmes terrains que leurs homologues du Nord.

Première spécificité, la démographie

Si certains pays de taille intermédiaire, comme le Maroc, sont déjà confrontés à une relative saturation et donc, à des problématiques de palier de rentabilisation de leurs réseaux bancaires, d'autres pays font face à la fois au gigantisme de leur population et à leur rapide bancarisation. Résultat : un hyper développement des réseaux, dont l'étendue surpasse tous les antécédents. Sur la seule année 2012, Bank of China et la brésilienne Bradesco ont ainsi capté respectivement 18 millions et 8 millions de clients, soit dans l'ensemble plus que de la clientèle installée de réseaux bancaires matures comme ceux de Société Générale ou de Barclays. La monté en puissance de ces « méga-marchés » bancaires est d'ailleurs d'ores et déjà visible dans nos analyses et classements, qui consacrent le poids relatif des acteurs chinois et indiens. Selon l'Emerging Banking Benchmark 2013 (EBB) de DEVLHON Consulting à paraître prochainement, le nombre d'agences des 10 groupes bancaires émergents les plus actifs a ainsi encore augmenté de 6% en moyenne en 2012.

Le déploiement de ces réseaux passe aussi par l'internationalisation des acteurs locaux. Ils sont aidés en cela par les banques occidentales, qui réduisent leur exposition sur les marchés émergents au profit d'un recentrage de leurs réseaux. L'objectif ? Diversifier la base de risque et le PNB (Produit Net Bancaire) et suivre les flux de leurs entreprises, tout en tirant profit d'un continuum culturel et linguistique. Si elles visent généralement des petit pays avec des populations pauvres, ces stratégies d'expansion internationale prennent des formes diverses et forgent de nouvelles alliances. Les Chinois cherchent ainsi souvent à sécuriser l'accès aux ressources stratégiques ou à se placer sur certains « méga-marchés » émergents, comme avec l'entrée d'ICBC à hauteur de 20% dans le Sud-africain Standard Bank. Les établissements du Golfe visent quant à eux des zones culturellement plus proches, comme la Turquie ou l'Egypte, tandis que le marocain Attijariwafa Bank et Qatar National Bank (QNB) viennent de signer un protocole d'accord à l'international, notamment pour accompagner les investisseurs qataris en Afrique. Même constat pour la russe Sberbank, qui a racheté la turque Denizbank à Dexia en 2012. Dans ce cadre, et à l'inverse de l'Asie (fermée aux prises de participation étrangère), l'Afrique, l'Asie Centrale, voire l'Europe de l'Est et l'Amérique latine pourraient devenir des terrains de chasse privilégiés.

Reste que toutes les banques ne luttent pas à armes égales, dans cette course à la taille et à la diversification. Certaines peuvent compter sur des coûts de refinancement favorables sur leur marché historique pour accompagner leur croissance et faire face à une envolé des crédits parfois plus rapide que les dépôts. Résultat : l'écart se creuse entre les acteurs bancaires des BRIC et les autres pays dynamiques de l'EBB agrégés autour du « Groupe des 11 » (incluant notamment Afrique du Sud, Indonésie, Maroc, Mexique, Nigeria, Pologne, Thailande, Vietnam). Une autre conséquence de cette course à la taille est d'ordre managérial. Après le « too big to fail » pourrait succéder le « too big to manage ». La taille de certaines banques chinoises, indiennes ou voire russes mettent à mal les modèles de risque.

La clientèle adressée par les banques émergentes n'est pas seulement plus nombreuse

Elle est aussi très hétérogène dans sa composition socio-économique et dans sa densité géographique. Cette réalité impose des réponses organisationnelles et des modes de distribution spécifiques, qui répondent à de nouvelles approches multi-métiers et multi-segments et à une logique d'innovation spécifique dite « inversée ». L'objectif, pour ces réseaux, consiste à proposer des produits formatés à bas prix mais hauts volumes, sans toutefois dégrader leur qualité, tout en y ajoutant des nouveautés répondant aux contraintes spécifiques aux populations émergentes à faible revenus individuels : simplicité d'utilisation, ruralité, instabilité des flux de revenus etc. Cette nécessité passe notamment par une grande mixité dans les modes de distribution, mais aussi par une automatisation en masse de la relation client, une déportation accrue des canaux et une meilleure capacité à gérer le cash. Pour le paiement par mobile, malgré une accélération des initiatives au sein des pays développés, les pays émergents montrent de nouveaux cadres d'expérimentation et d'utilisateurs « réels » de services de paiement par mobile. Même constat pour les GAB biométriques. L'innovation n'est pas seulement technologique, des adaptations de l'évaluation et l'octroi de crédit se développent aussi.

Pour toutes ces raisons, les groupes bancaires issus des pays émergents ne seront pas les clones des établissements occidentaux. Ils ne convergeront pas plus vers une approche unique. Au contraire, ils inventeront des modèles multiples et bien souvent hybrides. De nouvelles complexités donc aussi. Cela n'ira pas en effet sans freins ni challenges internes en matière par exemple d'efficacité opérationnelle, d'adaptation de la gestion des risques, de positionnement par marché ou de ressources humaines, mais aussi de pressions croissantes sur les marges et de mise à niveau réglementaire.

Tout montre que ce n'est qu'un début. Depuis 2006, les plus de 300 banques suivies par DEVLHON Consulting dans 40 marchés bancaires émergents ont déjà su déployer plus de 45 000 de points de ventes sur leurs territoires. Le prochain EBB 2013 sera l'occasion de détailler plus avant ces tendances lourdes.

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Yoann Lhonneur est associé chez DEVLHON Consulting.

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