Sortir de l’Euro

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Par Philippe Préval Publié le 5 mars 2017 à 5h02
France Sortie Euro Crise Economique
50 milliards d'eurosLa sortie de l'euro doublerait le service de la dette française, soit une augmentation de 50 milliards d'euros environ.

Indécis pendant plus d’un an sur le sujet, le Front National affiche maintenant clairement sa volonté de sortir de l’Europe et de l’Euro. Ce second point mérite réflexion.

Dopé par le Brexit, électrisé par la victoire de Donald Trump, le Front National s’est pris à rêver d’une victoire possible et abandonné ses palinodies sur un sujet fondamental : il affiche maintenant clairement sa volonté de sortir de l’Europe et de l’Euro. Sortir de l’Euro n’est pas impossible puisque nous y sommes entrés mais ne peut se faire qu’après avoir drastiquement redressé l’économie française, ce qui demandera du temps, de la compétence, de l’intelligence, du doigté, toutes choses dont madame Le Pen et ses joyeux équipiers ne semblent pas regorger.

Si d’aventure ils parviennent au pouvoir, ils profiteront de « l’état de grâce » - ou de catastrophe nationale- pour se lancer dans la mise en œuvre rapide de leurs principales réformes parmi lesquelles la sortie de l’Euro. C’est une mesure qui demandera un peu de logistique et qui prendra quelques mois, mais il y aura bien un jour J, où le Franc, ressuscité, volera de ses propres ailes. C’est le moment auquel nous nous plaçons pour analyser deux conséquences : l’évolution de la parité et l’évolution de la dette.

Un nouveau-Franc face à l’Euro

Le marché des changes est l’un des marchés financiers les plus dynamiques que ce soit grâce aux contrats futurs ou forward ou sur les marchés spot. Sans être une science exacte, c’est le marché financier le plus directement relié à l’économie réele. La parité des devises (la force des devises) dépend principalement de la santé économique des pays qui les émettent. D’ailleurs, ces marchés vivent au rythme de la publication des indicateurs économiques et des communiqués des banques centrales.

L’exemple suivant (source https://www.xe.com) montre l’évolution de la parité entre le dollar canadien (CAD) et le dollar américain (USD) sur cinq ans. On voit que celle-ci est passée de 1 à 0.75 et que le décrochement se fait dans le courant de l’été 2014.

Ce n’est pas un hasard. Le pétrole de sable bitumineux est un élément clé de l’économie canadienne. L’un de ses États (l’Alberta) en vit. Or, l’été 2014 voit les cours du brut s’effondrer, tombant en dessous de la barre des 50 dollars lorsque s’ouvre l’année 2015. La cause principale en est un excès d’offre, alimenté par la production de pétrole de schiste aux États-Unis, et cela même si la consommation mondiale continue de croître. Décidée à défendre ses parts de marché, l’Arabie Saoudite maintient les niveaux de production de l’OPEP. Elle entend ainsi obliger les producteurs de gaz de schiste américains à réduire leur propre production. Un « bras de fer » s’engage qui fait une victime collatérale : les sables bitumineux dont le coût de production est trop haut. Le cours du Brent passe sous la barre des 30 dollars le baril en janvier 2016, le plus bas niveau depuis 2003. La situation devient très difficile pour certains pays producteurs, comme le Venezuela, l’Algérie, la Russie et … le Canada qui pour une bonne part, arrête sa production.

Si on analyse l’évolution de la parité entre le Rand sud-africain (ZAR) et l’Euro (EUR) on s’aperçoit qu’elle a été pendant longtemps autour de 10 Rands pour 1 Euro et qu’elle est montée à 17 en 2016. Le décrochage du Rand advient en 2012 où des mouvements sociaux très durs, dont des incidents terribles qui ont fait des dizaines de morts, perturbent l’économie minière qui est l’un des principaux moteurs du pays. C’est à ce moment-là que les BRICS ont perdu leur « S ».

On peut multiplier les exemples pour constater à chaque fois que pour les monnaies « libres », la parité évolue en fonction de la santé de l’économie réelle en premier lieu et dans une moindre mesure de la politique. Un pays peut essayer de maintenir artificiellement une parité, comme ce fut le cas de la Suisse fin 2015, mais le gyroscope du marché finit par l’emporter: le Franc suisse s’est apprécié de 20% en 2 heures quand la Suisse a arrêté de le tenir, entrainant la ruine immédiate de nombre de brokers.

Tout ceci pour dire que personne, à part la Chine, ne peut jouer avec la parité des monnaies. Créé le mercredi, le Franc aura perdu le lundi suivant 15% de sa valeur. C’est ce qui est arrivé à la Livre sterling qui a chuté de10% en une nuit et qui bénéficie pourtant d’une cote d’amour bien supérieure au Franc. La parité FRF/EUR reflètera la force relative des économiesfrançaise et l’allemande. Les investisseurs compareront 10% de chômage à 7%, 50 milliards de déficit de la balance commerciale, à 200 milliards d’excédents, 3% de déficit du budget à 0,1% d’excédent. Et ainsi de suite. Il n’y a pas photo. Vouloir combattre un adversaire très supérieur dans un combat que l’on peut éviter ou différer, cela ne s’appelle nullement du courage.

Donc, soyons clairs, l’argent que vous avez en banque et plus généralement votre patrimoine, perdra 15 % de sa valeur en une semaine. Et cela ne sera qu’un début. Dans le même mouvement la France sera classée 7e économie mondiale derrière le Royaume Uni et l’Italie, voir 8e après le Brésil. C’est de la gloriole mais pour un mouvement si patriotique, c’est amusant.

La dette subira trois chocs

En premier lieu, libellée en Euro, il y a toute chance qu’elle le reste. Elle augmentera donc naturellement en fonction de la chute du Franc. Elle passera de 2200 milliards à 2500 en une semaine. En termes d’endettement par rapport au PIB, nous serons juste en dessous l’Italie, dont c’est le principal problème. Le service direct de la dette augmentera de la même façon, soit environ de 7 milliards d’Euros.

Mais c’est loin d’être le plus grave. Après le Frexit de madame Le Pen, les taux d’intérêt augmenteront, car il n’y aura plus aucune raison de bénéficier des taux allemands comme c’est le cas aujourd’hui. Ce sont ces taux artificiellement bas, qui nous permettent aujourd’hui d’avoir un service de la dette tolérable alors que notre dette a doublé en 10 ans. Les taux souverains de la France (0.9) et de l’Allemagne (0.35) sont beaucoup plus proches que ceux de la France et de l’Italie (2). Une fois le cordon ombilical coupé, nous irons vers celui de l’Italie ou au-delà ce qui doublera le service de la dette, soit environ une augmentation de 50 milliards d’Euros.

Enfin il n’y aura plus aucune raison pour que la BCE rachète de la dette française comme c’est le cas aujourd’hui. Rappelons que la BCE rachète 14 milliards d’Euros par mois de dette italienne, ce qui évite à l’Italie une crise financière majeure. La France n’y aura pas droit et il est bien difficile d’en mesurer les conséquences.

Il suffira que la Banque de France prête, dit madame le Pen. Mais avec quoi ? Le programme des réjouissances sera donc le suivant : recours à l’emprunt, augmentation de la dette, abaissement des notations, augmentation des taux… bref, le cercle vicieux dit « à l’athénienne » avec les résultats que l’on connaît mais sans filet.

La combinaison des deux effets nous enverra dans la pire crise économique que la France ait connue depuis la Révolution. Le Franc ressuscité ne vaudra guère mieux que les assignats du Directoire ou que les papiers de la Commune. Avec ses beaux drapeaux tricolores, ses flonflons, ses rodomontades et ses discours patriotiques, la bonne Marine Le Pen aura réussi à obtenir ce que décrochent tous les démagogues qui arrivent au pouvoir depuis Cléon l’athénien : une catastrophe sans égale.

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Philippe Préval est entrepreneur, DG de la société Lusis et candidat-citoyen à l’élection présidentielle.

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