La production de Stellantis va reculer en France d’ici à 2028, alors même que les usines sortent à peine de plusieurs années de crise. Selon des estimations syndicales fondées sur des présentations internes, le constructeur prévoit environ 11 % de véhicules assemblés en moins dans ses sites tricolores. Derrière ce chiffre sec se cache une double crise : celle d’une industrie européenne en surcapacité, et celle de ménages français qui n’ont ni l’envie ni surtout les moyens d’acheter une voiture neuve.
Stellantis : pourquoi la production va reculer en France d’ici 2028

Le 1ᵉʳ décembre 2025, Stellantis a confirmé aux représentants du personnel une trajectoire de production en baisse dans ses cinq usines d’assemblage françaises. Entre 2025 et 2028, les volumes passeraient d’environ 661 000 véhicules à un peu moins de 590 000 unités, soit un recul proche de 11 %, selon des estimations syndicales rapportées par Reuters et la presse spécialisée. Dans un marché déjà atone, cette contraction illustre le mur de la demande auquel se heurtent désormais les constructeurs, malgré les plans de relance successifs et la montée en puissance des modèles électrifiés.
Stellantis serre la vis dans ses usines françaises
En France, la baisse annoncée chez Stellantis ne sera pas marginale et touchera l’ensemble des cinq sites d’assemblage, dont Poissy et Mulhouse, d’après les documents internes évoqués par les syndicats. Les projections chiffrent la production annuelle à environ 587 800 véhicules à l’horizon 2028, contre plus de 660 000 en 2025 et 565 000 en 2024. Autrement dit, Stellantis efface une partie du rebond post-Covid et ramène ses volumes proches de leur point bas, alors que le marché intérieur ne redécolle pas.
Le cas de l’usine Stellantis de Poissy résume les tensions du moment. Ce site des Yvelines, qui emploie environ 2 000 personnes, pourrait voir sa production passer d’un ordre de grandeur supérieur à 90 000 véhicules en 2025 à seulement 55 000 unités à l’horizon 2028, une chute d’environ 40 %. Cette baisse s’explique notamment par la fin programmée du cycle de vie de deux modèles assemblés sur place. Stellantis a bien prévu d’investir environ 20 millions d’euros dans de nouvelles activités de travail du métal et de recyclage, avec, à la clé, quelque 200 emplois, indiquent les mêmes sources. Cependant, la direction ne décidera qu’au premier semestre 2026 si la production de véhicules sera prolongée après 2028 à Poissy, tout en affirmant que l’usine ne fermera pas. De quoi alimenter, malgré tout, les inquiétudes sur l’avenir industriel du site.
Stellantis face à un marché européen saturé et atone
La baisse de production de Stellantis en France ne peut pas se comprendre sans regarder le reste du continent. D’après un rapport de McKinsey, la production européenne de véhicules légers devrait reculer d’environ 6 % entre 2024 et 2028, pour tomber à 8,9 millions d’unités. La production 2024 est déjà plus de 30 % sous son niveau de 2017, ce qui traduit un choc durable sur l’appareil industriel. Stellantis, lui, ferait partie des constructeurs ayant enregistré la plus forte baisse de croissance en Europe depuis 2017, ce qui le contraint à piloter au plus serré ses capacités, usine par usine, y compris en France. Le directeur général du groupe rappelle d’ailleurs que le marché européen a perdu environ trois millions de voitures depuis l’avant-Covid, ce qui réduit mécaniquement la place disponible pour Stellantis et ses concurrents.
Dans ce contexte, la décision de Stellantis de réduire de 11 % sa production française d’ici 2028 apparaît comme une réponse à des années de surcapacité. Il s’agit d’un volet d’une stratégie plus large de gestion des volumes en Europe, et non d’un cas isolé. Stellantis avait déjà temporairement interrompu la production à Poissy en 2025 faute de demande suffisante. Or, malgré les plans de soutien publics et les incitations à l’achat de véhicules électriques, le marché des voitures neuves reste fragile. Les sites français de Stellantis se retrouvent ainsi pris en tenaille entre une pression concurrentielle forte, une transition technologique coûteuse et des carnets de commandes qui ne justifient pas le maintien des cadences d’antan.
Ménages français étranglés et voiture neuve devenue produit de luxe
Si Stellantis coupe dans sa production en France, c’est aussi parce que les Français achètent moins de voitures neuves, et plus tard. D’un côté, le signal politique envoyé depuis plusieurs années va dans le sens d’une moindre place de l’automobile individuelle : durcissement du malus, restrictions de circulation dans les zones à faibles émissions, injonction à basculer vers l’électrique. De l’autre, ces mêmes Français font face à un budget sous pression, entre inflation persistante, loyers élevés, crédits plus chers et facture énergétique qui reste lourde. Résultat : la voiture neuve, en particulier dans les segments traditionnels de Stellantis, devient un achat reporté, voire abandonné, par une partie des ménages aux revenus moyens. Même si les voitures 100 % électriques atteignent désormais environ 26 % des ventes de voitures neuves en novembre 2025, cette dynamique se concentre sur des catégories de clients plus aisés ou fortement aidés, laissant de côté une clientèle populaire qui prolonge la durée d’usage de ses véhicules anciens.
Pour Stellantis, cette fracture se traduit concrètement en commandes manquantes dans ses usines françaises. Les ménages qui, hier, achetaient tous les cinq ou six ans une citadine ou un petit SUV du groupe, gardent désormais leur voiture dix ans ou davantage, faute de moyens ou par crainte de s’endetter à taux élevé. Les incitations à ne pas acheter de voitures thermiques, ou à limiter leur usage, renforcent ce mouvement. Dans le même temps, les offres d’abonnement, de leasing social ou de location longue durée se développent, mais sans compenser totalement le recul du volume de véhicules neufs immatriculés, surtout dans les segments où Stellantis était historiquement dominant. En ajustant ses cadences en France, le groupe acte donc le fait que la demande nationale ne reviendra pas, à court terme, à son niveau d’avant-crise, et que ses lignes de production doivent se caler sur un marché durablement plus étroit.
