TotalEnergies a officialisé le 29 septembre 2025 la cession de 50 % de son portefeuille solaire nord-américain au fonds KKR pour 950 millions de dollars, valorisant l’ensemble à 1,25 milliard. Cette opération stratégique libère des capitaux mais interroge sur la souveraineté énergétique et le rôle de l’entreprise française dans l’électricité.
TotalEnergies cède 50 % de son solaire nord-américain à KKR

Le communiqué publié le 29 septembre 2025 par TotalEnergies a confirmé une transaction majeure : la vente de la moitié de son portefeuille solaire en Amérique du Nord à KKR, l’un des plus grands gestionnaires d’actifs mondiaux. Cette cession partielle, qui représente 50 %, s’inscrit dans le modèle de monétisation du groupe mais soulève des doutes sur la cohérence de sa stratégie et ses effets sur la souveraineté des entreprises françaises dans le secteur énergétique.
Pourquoi TotalEnergies cède 50 % de son portefeuille solaire
TotalEnergies justifie cette décision comme une application de son modèle : céder 50 % des actifs renouvelables après leur mise en service commerciale et leur « dérisquage ». L’objectif annoncé est de réduire les besoins en capitaux propres, tout en libérant une trésorerie immédiatement mobilisable. Ce mécanisme permet de soutenir le financement de nouveaux projets solaires ou éoliens ailleurs dans le monde, sans alourdir le bilan du groupe.
Stéphane Michel, président de la division Gas, Renewables & Power, a souligné que cette cession est « alignée avec notre stratégie » et qu’elle contribue à renforcer la rentabilité de l’activité Integrated Power. En pratique, ce mouvement s’ajoute à d’autres opérations similaires : en juillet 2025, TotalEnergies avait déjà vendu 50 % d’un portefeuille renouvelable au Portugal pour près de 178,5 millions d’euros, conservant toutefois l’opérationnel des actifs. Ce modèle de partenariat est désormais récurrent pour l’entreprise.
À qui et pour combien ?
L’acheteur, KKR, est un acteur global majeur du private equity et des infrastructures. Avec cette transaction, la valorisation du portefeuille solaire atteint 1,25 milliard de dollars. Le montant effectivement encaissé par TotalEnergies, après refinancement bancaire, s’élève à 950 millions de dollars. Ces chiffres traduisent une valorisation moyenne d’environ 678 000 dollars par MW cédé, un niveau qui illustre l’attractivité du solaire nord-américain.
Le portefeuille comprend six centrales de grande taille représentant 1,3 GW, ainsi que 41 installations de production distribuée, principalement à destination des clients professionnels, pour environ 140 MW. TotalEnergies conserve 50 % des parts et restera opérateur des actifs. Néanmoins, l’entrée d’un partenaire financier de cette envergure réduit mécaniquement le poids décisionnel exclusif du groupe français sur ces infrastructures.
Une stratégie financière efficace mais contraignante
D’un point de vue financier, TotalEnergies transforme des actifs d’infrastructure en liquidités. Cette conversion rapide renforce sa flexibilité et lui permet d’investir dans d’autres projets, en particulier dans des marchés émergents. Elle envoie aussi un signal positif aux marchés financiers : le groupe sait monétiser ses actifs et améliorer son rendement.
Cependant, cette logique limite la capture intégrale des revenus futurs. En partageant les bénéfices avec KKR, TotalEnergies se prive d’une partie de la valeur générée par la vente d’électricité sur le long terme. De plus, la dépendance à des investisseurs tiers introduit une variable supplémentaire dans la gouvernance des projets.
Cette cession peut apparaître comme un signe de discipline financière. Mais elle alimente aussi une perception d’ambivalence : alors que l’entreprise affiche des ambitions fortes dans les renouvelables, elle choisit de ne pas conserver la totalité de ses actifs. Pour les acteurs industriels et politiques, cette démarche soulève la question de savoir si TotalEnergies souhaite vraiment devenir un leader pleinement intégré de la production d’électricité renouvelable ou si elle privilégie avant tout la rentabilité à court et moyen terme.
La souveraineté repose non seulement sur la capacité à produire de l’électricité, mais aussi sur la maîtrise des capitaux qui financent les infrastructures. En multipliant les partenariats avec des fonds internationaux, TotalEnergies accroît l’exposition de la France aux décisions d’acteurs financiers globaux qui n’ont pas nécessairement les mêmes priorités stratégiques.
Un effet domino sur l’écosystème français
L’opération envoie également un signal aux autres acteurs français du secteur. Si le champion national choisit de partager la propriété de ses projets avec des fonds étrangers, les développeurs de taille moyenne pourraient être poussés à suivre le même modèle pour lever des fonds. Ce mécanisme risque de réduire la part de capital français dans les projets solaires ou éoliens, accentuant la dépendance aux financements extérieurs.
Dans cette perspective, le poids croissant d’investisseurs comme KKR peut capter une partie des retombées économiques — qu’il s’agisse de la fiscalité, des dividendes ou des choix industriels. Le risque est donc de voir s’éroder, au fil du temps, la capacité française à conserver une pleine maîtrise de son développement énergétique.
