Cour des comptes : le plan choc pour taxer davantage les hauts patrimoines

La Cour des comptes sort l’artillerie lourde sur la fiscalité du patrimoine. Dans un rapport publié le 1er décembre, son Conseil des prélèvements obligatoires détaille un « big bang » de l’imposition du patrimoine des ménages : deux scénarios, un impôt plancher façon nouvel ISF, un coup de rabot sur les niches et un objectif assumé : faire payer davantage les plus fortunés sans faire exploser le rendement global… au risque de braquer une large partie des Français.

Ade Costume Droit
By Adélaïde Motte Published on 1 décembre 2025 16h03
Cour Des Comptes Le Plan Choc Pour Taxer Davantage Les Hauts Patrimoines
Cour des comptes : le plan choc pour taxer davantage les hauts patrimoines - © Economie Matin

Le nouveau rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, rattaché à la Cour des comptes, intitulé « Corriger les principales distorsions de l’imposition du patrimoine », a été rendu public le 1er décembre 2025. Selon la Cour des comptes, les prélèvements sur le patrimoine des ménages ont atteint 113,2 milliards d’euros en 2024, dont 64,3 milliards sur la détention et la transmission du patrimoine, soit 0,4 % du patrimoine total, et 48,9 milliards sur les revenus du patrimoine, soit 11,6 % de ces revenus. Cette fiscalité du patrimoine est jugée « forte, complexe, inégalitaire et peu efficace » par la Cour des comptes, qui propose de la réformer en profondeur à rendement global proche de l’existant, mais avec une contribution accrue des plus hauts patrimoines.

Cour des comptes : un diagnostic sévère sur la fiscalité du patrimoine

Pour poser son diagnostic, la Cour des comptes rappelle d’abord que le patrimoine des ménages a fortement gonflé depuis vingt ans. Le rapport souligne ainsi que le patrimoine des ménages représente désormais six fois le revenu disponible en 2021, contre 4,5 fois seulement en 2000. Dans le même temps, explique la Cour des comptes, la richesse s’est fortement concentrée : le dixième le plus favorisé de la population détient 60 % de la richesse nationale et le 1 % le plus riche en concentre 27 %. Cette dynamique nourrit des tensions croissantes sur la fiscalité, alors même que la « taxe Zucman » sur les milliardaires, discutée au niveau international, a été de facto abandonnée.

La Cour des comptes insiste aussi sur le caractère instable de la fiscalité actuelle du patrimoine. Selon le Conseil des prélèvements obligatoires, l’imposition du patrimoine est clivante, mal comprise et mal acceptée, en particulier s’agissant des droits de succession. Elle est par ailleurs truffée de dispositifs dérogatoires – assurance-vie, régimes spécifiques pour les biens professionnels, pacte Dutreil – qui orientent l’épargne vers l’immobilier et certains produits plutôt que vers des investissements jugés plus productifs. La Cour des comptes juge ainsi l’imposition du patrimoine « complexe, inégalitaire, et peu efficace au regard des objectifs de politique publique », ce qui la conduit à plaider pour « une contribution plus effective des très hauts patrimoines aux charges publiques ».

Cour des comptes : deux scénarios pour un impôt plancher sur les plus riches

Face à ce constat, la Cour des comptes ne reprend pas la taxe Zucman stricto sensu, un impôt mondial de 2 % sur les milliardaires jugé irréaliste en l’absence d’accord international. Le Conseil des prélèvements obligatoires « écarte prudemment » cette piste, en rappelant les obstacles juridiques et politiques, et propose plutôt « d’autres pistes » pour augmenter la contribution fiscale des plus hauts patrimoines dans un cadre plus sûr pour l’économie française. C’est là qu’intervient la pièce maîtresse du rapport : un impôt différentiel sur la fortune personnelle, assimilable à un nouvel impôt de solidarité sur la fortune, mais recentré et adossé à un impôt plancher.

Dans un premier scénario, décrit à la fois par la Cour des comptes et par les analyses de marchés, la Cour des comptes propose une « taxe holding » visant les liquidités logées durablement dans des sociétés purement patrimoniales, ces « sociétés tirelires » qui servent souvent à optimiser l’imposition. Cette taxe serait combinée avec un impôt différentiel sur les plus grosses transmissions : au-delà d’un seuil de 2,67 millions d’euros, un taux d’au moins 7,5 % s’appliquerait, y compris sur le patrimoine professionnel. Ce premier scénario cible donc la fiscalité des héritages et des holdings, pour renforcer l’imposition au moment des transmissions plutôt que d’alourdir la détention courante de patrimoine.

Cour des comptes : un « nouvel ISF » et un coup de rabot sur les niches

Le second scénario présenté par la Cour des comptes va plus loin et s’apparente à un « plan B » après la taxe Zucman pour la fiscalité du patrimoine. Il prévoit un impôt différentiel sur le patrimoine non professionnel, à un taux modéré mais non plafonné, qui s’appliquerait aux patrimoines supérieurs à 5 millions d’euros. Dans les documents analysés, le CPO chiffre un cas de figure : un taux de 0,5 % sur la fraction de patrimoine non professionnel excédant 5 millions d’euros, ce qui rapporterait environ 1,4 milliard d’euros par an.

Ce même scénario prévoit une réforme musclée du pacte Dutreil, ce dispositif qui permet de transmettre des entreprises familiales avec 75 % d’exonération de droits de mutation sous certaines conditions. La Cour des comptes propose de ramener l’exonération à 50 %, de prolonger la durée de détention exigée et de réserver l’avantage aux seuls actifs réellement professionnels. Selon les estimations relayées par la presse économique, cette remise en cause du pacte Dutreil pourrait rapporter environ 1,3 milliard d’euros supplémentaires. Au total, Cour des comptes et CPO envisagent ainsi un gain potentiel d’environ 2,7 milliards d’euros par an sur les plus riches, soit beaucoup moins que la taxe Zucman, mais près de trois fois plus que ce que le gouvernement a jusqu’ici mis sur la table.

Une réforme à rendement constant, mais pas sans perdants

Officiellement, la Cour des comptes insiste sur le fait que sa réforme de la fiscalité du patrimoine viserait un rendement « à peu près constant » pour les finances publiques. Dans la synthèse officielle, le CPO explique en effet que la priorité est de rendre l’imposition « plus neutre » pour l’investissement, « plus adaptée » aux mutations démographiques et « plus équitable » grâce à une assiette plus large et des taux plus faibles. Concrètement, cela suppose de réduire les barèmes apparents des droits de succession pour le plus grand nombre, tout en rognant sur les niches dont bénéficient aujourd’hui les patrimoines les plus importants, qu’il s’agisse d’assurance-vie, de certains montages de holdings ou des régimes de transmission de biens professionnels.

Mais même à rendement global inchangé, les perdants de la réforme proposée par la Cour des comptes sont clairement identifiés. Les détenteurs de gros contrats d’assurance-vie, qui ont profité d’un cadre fiscal attractif alors même que l’encours total de l’assurance-vie dépasse désormais 2 000 milliards d’euros en France, seraient davantage mis à contribution. Les familles qui s’appuient sur le pacte Dutreil pour transmettre des entreprises avec un coût fiscal très réduit verraient aussi leur addition grimper, surtout pour les transmissions les plus importantes. À l’inverse, les héritiers de patrimoines moyens pourraient bénéficier d’un allègement partiel des droits, la Cour des comptes plaidant pour un rapprochement entre taux apparents, actuellement parmi les plus élevés de l’OCDE, et taux effectifs.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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