Israël : le bouclier technologique de l’innovation

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Par Edouard Cukierman, Daniel Rouach Publié le 22 septembre 2013 à 3h35

«Small is beautiful» écrivait Ernst Friedrich Schumacher en 1976. Petit territoire de 22000 kilomètres carrés (la taille de la Bretagne), peuplé de 7,8 millions d'habitants, dans un Moyen-orient berceau de nos civilisations, Israël a développé plusieurs pôles d'innovation technologique, ces «clusters» (pôles de technologies propices aux affaires et à la croissance), moteurs de son économie et de son développement. Éclos sur le schéma de la côte ouest américaine mais typiquement israé-liens, ces clusters offrent un modèle particulier et reproductible à certains égards. Mais avant d'en définir les contours, cédons à l'invitation au voyage.

Sur la route côtière bordée de verdure de Tel-Aviv à Herzliya, à quelques kilomètres au nord, la Méditerranée déploie ses vagues en rythme. ouverte sur un bassin traditionnellement porteur de richesses et d'échanges, elle raconte à qui sait entendre les premiers pas de ce petit État sexagénaire.

Aussi, nul ne sera surpris de voir apparaître, curieusement érigé sur un tonneau, un portrait sculpté de Theodor Herzl, le père du sionisme. Un premier pôle créé dans les années 1980 ressemble de prime abord à un parc industriel comme il en existe partout dans le monde, hérissé de panneaux et d'affiches indiquant les noms et adresses des sociétés qui y sont implantées.

Voyage au cœur du «village high-tech»

On y découvre un centre vibrionnant, où s'activent hommes et femmes d'une moyenne d'âge de 20 à 30 ans qui se connaissent et communiquent beaucoup. Avec sa multitude de petits lieux de rencontre, son parc étonnant de modernité et ses restaurants branchés, le centre-ville truffé de cabinets d'avocats et de «venture capitalistes» nous projette irrévocablement dans le futur. Le pôle d'Herzliya est un mélange florissant de grandes sociétés internationales et de start-up, illustrant ce que le professeur américain Michael Porter a analysé comme l'«effet de grappe» : à la manière des grains de raisin, de nombreuses petites start-up s'agglomèrent autour d'un grand groupe industriel international.

En continuant la route le long de la côte, encore plus vers le nord, du côté de Haïfa, un deuxième pôle high-tech très différent est celui de Matam. Il abrite de grands groupes comme Intel dans un imposant bâtiment et reçoit les meilleurs étudiants du fameux Technion de Haïfa – l'Institut polytechnique israélien, pendant du Massachusetts Institute of Technology (MIT) – pour des stages, des doctorats, des travaux de recherche et d'ingénierie. En son sein existe une proximité très affirmée entre le monde du high-tech, du venture et des jeunes créateurs d'entreprise.

Le troisième pôle se situe à rehovot, à 20 kilomètres au sud de Tel-Aviv, c'est l'Institut Weizmann. Considéré en 2011 par la revue The Scientist comme l'un des dix plus grands centres les plus agréables au monde pour les conditions de travail, il occupe une position stratégique à proximité de la «biotech valley», avec laquelle il entretient des échanges permanents. Des fils invisibles relient industriels, professeurs et chercheurs de l'Institut dont les activités universitaires sont souvent compatibles avec le développement de start-up. Pourtant, et malgré l'étude de ces facteurs objectifs, la réussite et l'alchimie particulière de l'État hébreu restent une énigme pour tous. Des chercheurs, des journalistes tentent de percer le mystère de la créativité et du dynamisme de ce pays si minuscule.

Tout au long du présent ouvrage, nous nous sommes donc attachés à répondre aux questions clés suivantes :

  • Pourquoi et comment Israël a-t-il créé et maintenu une avance technologique dans un environnement géopolitique hostile (maillage de l'innovation et de la r&D, politiques publiques, éducation, soutien aux «teens start-up»)?
  • Quels éléments inhérents à la culture israélienne ont permis l'éclosion d'une économie de haute technologie aussi florissante et performante (gestion de l'immigration et du capital humain dans les entreprises, esprit israélien de «chutzpah» : mélange de culot et d'audace)? Quel est l'impact du secteur militaire et des hautes technologies sur la survie et le développement d'Israël (transfert technologique du militaire au civil encouragé, unité d'excellence 8200 du renseignement israélien)?
  • Quels enseignements utiles les autres pays et leurs entreprises peuvent-ils tirer de l'expérience israélienne (désenclavement université-industrie, encouragement des jeunes talents, incubateurs)? Nous avons également tenté de conceptualiser un modèle apte à décrire les raisons du succès du high-tech israélien : le bouclier, épicentre actif ouvert sur le monde.

Dès la proclamation de l'État, voire dès sa conception moderne par les pères du sionisme, les plus grands leaders ont compris que sa survie reposerait sur un principe essentiel : la présence et le développement d'un bouclier technologique et scientifique capable de protéger et de renforcer la sécurité du pays face aux attaques extérieures.

Éducation, recherche, innovation, transfert technologique, armée, intelligence, réseaux et culture d'entreprise en sont les maîtres mots. Ils impriment leur marque de manière transversale aux valeurs clés d'Israël Valley : le bouclier humain, le bouclier informationnel, le bouclier entrepreneurial, le bouclier des start-up (incubateur), le bouclier de l'anticipation, le bouclier technologique de Tsahal, l'armée de défense d'Israël. Ces facteurs assemblés constituent et nourrissent le bouclier de l'indépendance et de la haute technicité d'Israël : son bouclier technologique.

L'idée même de bouclier est omniprésente dans l'inconscient collectif de la société israélienne. Elle se réfère aux grands moments de l'histoire du peuple juif, marquée au fer rouge des exils et des maltraitances, des pogroms et de la Shoah, de l'histoire de la nébuleuse antisémite et ses expressions radicales, criminelles. Le bouclier est l'un des plus grands symboles de l'État hébreu : il figure sur son drapeau, rappelle l'étoile de David (magen David, littéralement «bouclier de David»), et s'exprime dans la devise d'une institution comme Tsahal (acronyme de Tsva Haganah LeIsrael, traduit en fran-çais par «armée de défense d'Israël») qui mentionne explicitement l'idée de protection. Cette philosophie représente un trait caractéristique de la société israélienne. Un bouclier (valeur défensive) protège des agressions, mais également (valeur positive) permet de s'organiser, de se développer, et de s'ouvrir sans crainte au monde extérieur, de même qu'en psychologie, un être humain ne peut assumer sa part de sociabilité que s'il est centré, construit et assuré sur ses bases.

Le bouclier technologique constitue l'épicentre des doctrines militaires et civiles: les responsables politiques et militaires israéliens y ont engagé de larges sommes, et le savoir technologique acquis a systématiquement été redirigé dans le domaine civil.

Israël Valley : le bouclier technologique de l'innovation, Edouard Cukierman et Daniel Rouach

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Édouard Cukierman est le fondateur et PDG de Catalyst Fund, et le président de Cukierman & Co Investment House. Il a été PDG d'Astra Technological Investissements, un des premiers fonds de capital-risque israélien. Il est titulaire d'un MBA de l'Insead et du B.Sc. du Technion (Israël Institute of Technology). Il est officier de réserve de l'IDF (Unité de négociation de crise et de prise d'otages).Dr Daniel Rouach est professeur associé à l'ESCP Europe, ex-Dean MBA et l'exdirecteur du Master Innover et Entreprendre, et professeur (invité) au Technion depuis 1998. Consultant-expert international en transfert de technologie et intelligence économique, il est le fondateur du site IsraelValley.com et le président de la Chambre de commerce Israël-France (Tel-Aviv). Il a également coécrit, aux éditions Pearson, Incubators of the World et Le modèle L'Oréal.

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