Les « freinages fantômes » se multiplient sur les routes françaises, suscitant inquiétude et débats. Entre témoignages bouleversants, enquêtes officielles et interrogations économiques pour les constructeurs automobiles, le gouvernement a pris la mesure d’un phénomène qui pourrait ébranler tout un secteur.
Automobile : les « freinages fantômes » inquiètent, vers un nouveau scandale ?

Quand les freinages fantômes surgissent au cœur des autoroutes
Le 14 août 2025, le ministère des Transports a confirmé l’ouverture d’une enquête nationale sur les « freinages fantômes », ces arrêts brutaux de véhicules sur autoroute sans intervention du conducteur. Phénomène inquiétant, il interroge la fiabilité des systèmes d’aide à la conduite et mobilise le Service de la sécurité et de la mobilité des véhicules motorisés (SSMVM), qui dépend du ministère des Transports. Derrière cette affaire, se dessinent non seulement des enjeux de sécurité, mais aussi d’importantes conséquences économiques pour l’industrie automobile.
Le premier choc médiatique remonte à avril 2025. Joanna Peyrache, au volant de sa Peugeot 208 sur l’A40, raconte comment son véhicule est passé de 130 km/h à l’arrêt complet sans qu’elle n’ait touché la pédale. « La voiture a freiné très fortement jusqu’à quasiment l’arrêt », a-t-elle déclaré à TF1. Le freinage soudain a provoqué un tête-à-queue et une collision, la laissant blessée mais vivante.
Ce témoignage n’est pas isolé. En quelques semaines, Joanna a recueilli près de 250 récits similaires. Ce nombre dépasserait aujourd’hui 400 cas recensés. Ces automobilistes décrivent une même situation : un freinage violent et inattendu, souvent en pleine voie rapide, créant un risque majeur de carambolage.
Les conséquences peuvent être dramatiques. En décembre 2023 déjà, une conductrice circulant sur l’A7 avait vu son véhicule s’arrêter net à 130 km/h. Sa passagère est décédée, elle-même est tombée dans le coma, et malgré trois expertises n’ayant révélé aucune anomalie, elle a été condamnée pour homicide involontaire début juillet 2025. Elle affirmait pourtant : « Je suis absolument certaine de ne pas avoir freiné. Il n’y a pas eu de bip sonore, de lumière. C’est comme si on avait enclenché un frein moteur puissant ». Au-delà des drames humains, ce sont des centaines de témoignages convergents qui font émerger un problème systémique.
Des systèmes automatiques au banc des accusés
Les premiers soupçons se tournent vers les systèmes de freinage d’urgence automatiques (AEB). Obligatoires sur tous les véhicules neufs en Europe depuis 2022, ils reposent sur des radars et caméras censés détecter un obstacle et stopper le véhicule à temps. Mais plusieurs experts alertent sur leurs limites.
Selon Christophe Theuil, vice-président de la Fédération française de l’expertise automobile, interrogé par Le Point, « les capteurs peuvent détecter des choses qui n’existent pas ». Reflets de lumière, pluie battante, ombres mouvantes : autant de perturbations qui peuvent déclencher un freinage intempestif.
Cette vulnérabilité technique prend une ampleur particulière avec la massification de ces systèmes. En France, plus de 2 millions de véhicules neufs intègrent désormais l’AEB chaque année. La multiplication des incidents, même marginaux en proportion, se traduit mécaniquement par des centaines de cas sur le réseau autoroutier.
La comparaison avec d’autres scandales technologiques est désormais sur toutes les lèvres. « Nous pouvons voir avec l'affaire des airbags Takata que la somme des mauvaises expériences individuelles peut conduire à un problème technique plus général », prévient Joanna Peyrache dans The Connexion. Pour les observateurs, le spectre d’un scandale industriel n’est plus à exclure.
Un gouvernement contraint de réagir sous pression
Face à la gravité des signalements, le ministère des Transports a chargé le SSMVM de conduire des essais techniques et de demander des explications aux constructeurs. Le 7 août 2025, Joanna Peyrache a même été reçue par les services du ministère, confirmant la volonté des autorités de traiter le dossier. Les échanges avec les industriels s’annoncent délicats. Stellantis, premier groupe concerné avec ses marques Peugeot et Citroën, a fait savoir qu’il se tenait prêt à expertiser tout véhicule incriminé si le ministère en faisait la demande. Mais pour l’instant, aucune marque précise n’a été officiellement mise en cause.
Le gouvernement cherche à éviter deux écueils. D’une part, reconnaître trop vite une faille généralisée qui pourrait entraîner des rappels massifs et une crise de confiance. D’autre part, minimiser les faits au risque d’être accusé d’inaction. Le ministre des Transports a affirmé à BFMTV que « l’ensemble des constructeurs a été sollicité » et que « des investigations indépendantes sont en cours ».
Dans ce contexte, l’opinion publique se montre de plus en plus sensible à chaque nouvel accident. Les réseaux d’associations d’usagers réclament une transparence totale, tandis que des juristes commencent à envisager une action collective contre certains fabricants.
Des répercussions économiques potentiellement lourdes pour l’automobile
Derrière le volet sécuritaire, c’est toute l’économie de l’automobile qui pourrait être affectée. L’industrie traverse déjà une période de transition coûteuse : électrification, normes environnementales, investissements dans l’intelligence artificielle. Un nouveau front juridique et industriel lié aux freinages fantômes viendrait fragiliser un équilibre précaire.
D’abord, le risque de rappels massifs plane. Si une faille technique généralisée était confirmée, les constructeurs devraient rappeler des centaines de milliers de véhicules, avec un coût unitaire estimé entre 300 et 700 euros par intervention (remplacement de capteurs, recalibrage logiciel). Pour un groupe comme Stellantis, cela représenterait plusieurs centaines de millions d’euros.
Ensuite, l’impact réputationnel serait considérable. Après le « Dieselgate » et l’affaire des airbags Takata, le public est devenu très attentif aux questions de sécurité. Tout défaut reconnu sur l’AEB pourrait miner la confiance dans les technologies d’aide à la conduite, un pilier de la stratégie commerciale des constructeurs.
Enfin, les assureurs suivent de près le dossier. Une hausse des sinistres liés aux freinages intempestifs pourrait alourdir les primes d’assurance, voire conduire certains assureurs à ajuster leurs conditions pour les véhicules équipés. Or, ce surcoût viendrait encore fragiliser la demande sur un marché automobile déjà en recul de 5% en France sur le premier semestre 2025. L’onde de choc économique pourrait dépasser le cadre technique et atteindre la compétitivité même de l’industrie française et européenne.
