Comment s’orientent papillons et oiseaux la nuit ?

L’étude des molécules oculaires et du domaine quantique répond à des questions que l’on se pose depuis longtemps sur la manière dont les animaux migrateurs se repèrent lors de leurs déplacements.

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Par Horizon Publié le 4 novembre 2023 à 9h00
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99,5%En 2019, la population de papillons bogong a chuté de 99,5 % à cause de la sécheresse.

Les bogongs gris-bruns, des papillons nocturnes, ne paient peut-être pas de mine, mais chaque année, ils effectuent un périple nocturne qui mérite d’être mentionné. Des milliards d'entre eux parcourent jusqu'à 1000 kilomètres entre les plaines de l'est de l'Australie et des grottes des régions montagneuses pour échapper à la chaleur estivale.

Arrivant fin septembre de leurs sites de reproduction, jusqu'à 17 000 papillons nocturnes occupent chaque mètre carré de paroi des grottes et restent en dormance dans une chaîne de montagnes du sud-est connue sous le nom d'Alpes australiennes.

Un sens supplémentaire

«Si vous pénétrez dans ces grottes en été, vous avez l’impression que les parois sont comme recouvertes d’écailles de poisson», a expliqué Eric Warrant, professeur et biologiste à l'université de Lund en Suède. «C’est absolument incroyable.»

En automne, les papillons repartent pour s'accoupler, pondre et mourir. Leur progéniture fait à son tour le même périple, sans l’avoir jamais fait auparavant, une prouesse qui a longtemps intrigué les chercheurs.

Même si l’on sait que les insectes, les oiseaux, les tortues et les poissons savent s’orienter à l’aide du champ magnétique terrestre, les mécanismes spécifiques utilisés pour activer ce «sixième sens» restent un mystère. Tout comme le lien qui pourrait exister avec d’autres signaux sensoriels éventuels.

Disposer de meilleures connaissances dans ce domaine pourrait renforcer les efforts de conservation des espèces et contribuer à endiguer les pertes généralisées de biodiversité, alors que, d’après les scientifiques, le monde connaîtrait sa sixième extinction de masse.

En 2019, la population de papillons bogong a chuté de 99,5 % à cause de la sécheresse. Même si ces chiffres sont remontés depuis, leur population est en nette diminution.

Espèces cruciales

Les papillons de nuit sont essentiels aux végétaux qu’ils pollinisent et à la faune qui en dépend pour se nourrir. L’un de ces animaux est l’opossum pygmée des montagnes, une espèce en danger critique d’extinction.

«Le bogong est une espèce essentielle de l’écosystème alpin. Sa survie est donc capitale», a déclaré M. Warrant.

Il a dirigé un projet financé par l’UE dont l’objectif était de percer certains des secrets derrière la capacité du bogong à trouver son chemin. Baptisé MagneticMoth, le projet s'est achevé en août 2023 après six années de travaux.

L’équipe de M. Warrant a placé des papillons bogongs migrateurs dans un simulateur de vol extérieur. Les chercheurs ont ainsi pu vérifier que les papillons utilisaient effectivement le champ magnétique terrestre pour se déplacer.

Ils ont ensuite cherché à découvrir comment ils parviennent à le faire et où se trouvent les mécanismes responsables.

L’équipe a étudié des molécules appelées cryptochromes. Chez les oiseaux, des preuves suggèrent que des cryptochromes présents dans les yeux pourraient leur permettre de «voir» les champs magnétiques.

Bien que l’analyse génétique réalisée dans le cadre du projet n’ait pas encore donné de résultats définitifs, M. Warrant pense que son équipe prouvera que c’est grâce aux cryptochromes que les papillons bogong détectent le champ magnétique.

Une surprise venue des étoiles

L’équipe a également fait des découvertes qui ont l’amenée à examiner d’autres pistes.

«Nous avons découvert d’autres éléments qui, à mon avis, sont encore plus captivants que cette capacité de détection», a déclaré M. Warrant.

La première est que les bogongs utilisent les étoiles, en plus du champ magnétique terrestre, pour se déplacer. En laboratoire, leurs cellules cérébrales réagissaient à la rotation d’un ciel nocturne projeté.

M. Warrant a déclaré que la capacité à utiliser les informations apportées par le ciel nocturne pour s’orienter dans une direction donnée de la boussole n'était auparavant connue que chez les humains et chez certaines espèces d'oiseaux migrateurs nocturnes. Les papillons possèdent cette capacité tout en ayant une tête beaucoup plus petite.

«Les papillons semblent être capables de suivre leur trajectoire de migration héritée sous un ciel nocturne étoilé, même si l’on supprime le champ magnétique terrestre», a déclaré M. Warrant. «Qu’un insecte si petit, ayant un cerveau d’un dixième du volume d’un grain de riz et ayant des yeux plus petits qu'une tête d'épingle, arrive à faire cela est tout à fait surprenant.»

Les résultats suggèrent que les bogongs pourraient également utiliser une «hiérarchie» d’indices pour se guider, et qu’ils seraient en mesure de s’adapter et d’utiliser des indices différents lorsque certains d’entre eux ne sont pas disponibles. En attendant que des recherches plus approfondies soient réalisées, M. Warrant pense que les étoiles pourraient même être le signal dominant.

Idées quantiques

Comprendre comment les oiseaux migrateurs utilisent le champ magnétique terrestre est aussi un aspect important qui a des implications en termes de conservation des espèces.

En effet, les interactions magnétiques en jeu semblent notamment trop faibles pour déclencher les réactions chimiques nécessaires.

Mais l’explication pourrait se trouver dans un autre domaine à l’étude: celui des échelles «quantiques» atomiques et subatomiques, auxquelles le comportement de la matière n’est pas soumis aux règles habituelles.

«Il existe un mécanisme de mécanique quantique par lequel de si faibles interactions magnétiques peuvent affecter la chimie», a déclaré le professeur Peter Hore, chimiste à l'Université d'Oxford au Royaume-Uni.

Il étudie cette piste en tant que coordinateur du projet QuantumBirds financé par l’UE, qui s’achèvera fin mars 2025 au terme de six années de travaux.

Lumière bleue

Comme pour l’étude des papillons bogong, les travaux sont axés sur les cryptochromes qui servent de boussole aux oiseaux pour s’orienter pendant leur migration.

Le terme de «cryptochromes», du mot grec signifiant «couleur cachée», désigne des molécules sensibles à la lumière bleue présentes chez plusieurs espèces animales et dont on pense qu’elles seraient impliquées dans leur capacité à détecter le champ magnétique.

«Les oiseaux migrateurs possèdent au moins six cryptochromes différents dans les yeux», a déclaré M. Hore. «Notre but était de déterminer lequel était le plus susceptible d’assurer la détection du champ magnétique.»

L’équipe a porté son choix sur un candidat appelé cryptochrome 4a (Cry4a) pour différentes raisons, notamment à cause de la variation des niveaux de la protéine chez le rouge-gorge familier, un migrateur nocturne.

«Le cryptochrome 4a varie en fonction des saisons, et ses niveaux sont plus élevés au printemps et en automne», a expliqué M. Hore. «Cela serait cohérent avec la migration.»

En cultivant la protéine Cry4a en laboratoire, l’équipe du projet QuantumBirds a trouvé des preuves que la molécule était effectivement sensible aux champs magnétiques, et qu’elle l’était plus encore que la même protéine issue des pigeons et des poulets, qui ne migrent pas.

Selon M. Hore, bien qu’il faille encore tester la protéine Cry4a sur des rouges-gorges vivants pour confirmer le mécanisme en œuvre, les résultats sont prometteurs.

«Ce cryptochrome semble présenter les propriétés requises pour servir de base au compas magnétique dont sont dotés les oiseaux», a-t-il déclaré.

Instinct de retour au lieu d’origine

D’après M. Hore, comprendre comment les oiseaux migrateurs se déplacent pourrait être la clé de leur conservation future, d'autant qu'il est difficile de les déplacer en raison de leur instinct qui les pousse à retourner à habitat d’origine.

«Si nous pouvions comprendre les mécanismes qu’ils utilisent pour se diriger, nous pourrions peut-être leur faire croire qu’ils veulent rester là où nous les avons placés», a-t-il déclaré.

De son côté, M. Warrant, de l'Université de Lund, a déclaré qu'une meilleure connaissance de la façon dont les différentes espèces, et notamment les papillons bogong, s’orientent pourrait conduire au développement d’alternatives aux systèmes de navigation par GPS utilisables par l’homme.

Comprendre l’instinct de retour des papillons nocturnes, ainsi que leur rôle central dans l’écosystème, est une raison supplémentaire de les protéger.

«Faire prendre conscience au public que même un simple insecte mérite d’être sauvé est un pas important dans la bonne direction», a déclaré M. Warrant.

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par l’UE.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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